Témoin de Saïdo Lehlouh

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Témoin de Saïdo Lehlouh invente une danse hybride d’une grande richesse et d’une belle homogénéité avec 20 interprètes venu.es pourtant d’horizons divers des danses urbaines.

Témoin de Saïdo Lehlouh
Témoin © Le Kabuki

Du 24 au 27 février, la grande scène du Théâtre de la Ville accueillait Témoin la dernière création de Saïdo Lehlouh, codirecteur avec le collectif FAIR-E du CCN de Rennes et de Bretagne depuis 2019 et artiste associé au Théâtre de la Ville. On avait pu le voir avec Earthbound à Chaillot il y a peu, et avec Apaches accompagné d’une centaine d’amateurs en extérieur place du Châtelet pour la réouverture du Théâtre de la Ville en septembre dernier.

En ouverture de Témoin, le rideau se lève sur un danseur à cour exécutant une première danse sous les regards des 19 autres interprètes placés immobiles à jardin. La scène finale en retourne la proposition avec un rideau qui se referme sur un unique danseur au plateau alors que les 19 autres prennent place dans les travées du théâtre observant les spectateurs à la lumière de la salle. Passage de l’ombre à la lumière sous des applaudissements nourris.

Entre ces deux moments, on a pu voir une chorégraphie qui s’écarte fondamentalement des habituelles chorégraphies dominées par l’exercice du hip hop. Pas “d’acrobaties” virtuoses ici mais une danse qui occupe d’abord l’espace, tout en circulation et en flux, à l’image d’une foule qui se déplace dans un espace urbain ou du phénomène de murmuration des étourneaux en vol.

Les danseur.euses marchent beaucoup dans Témoin. Des marches, mais aussi des courses, sous une brume lumineuse diffuse, atmosphérique qu’accompagne si bien la bande-son presque arythmique, finalement très cinématographique de Mackenzy Bergile et Raphaël Henard : notes continues d’orgue, basse ralentie ou électronique, voix martelées, etc, pour un univers très sombre. La création lumière de Tom Visser dessine un espace sur le plateau en clair-obscur au-delà duquel les interprètes disparaissent irrémédiablement dans le noir. Un parti pris scénographique qui vient nimber les danses d’une aura tout à fait mystérieuse.

Au sein de ces groupes de danseur.euses en mouvement permanent émergeant de la pénombre, naissent des fragments de solos ou duos le plus souvent, et quelques unissons plus rarement, comme des éclats lumineux qui viennent percer l’obscurité. Fragments qui passent de main en main comme le témoin d’une course d’équipe qui pourrait alors ne jamais finir et cela grâce aux qualités d’improvisation des 20 interprètes. Dépassant les enjeux individuels, les clivages, les catégories et les genres, le tout mêlé de ces fragments de hip-hop, de break dance, freestyle, krump et électro invente une danse hybride d’une grande richesse et d’une étonnante plasticité avec des interprètes tou.tes autodidactes mais au sommet de leur art. Un spectacle épatant de bout en bout.

Témoin de Saïdo Lehlouh, vu au Théâtre de la Ville le 27/02/24.
Chorégraphie : Saïdo Lehlouh.
Interprètes : Ndoho Ange, Mehdi Baki, Audric Chauvin, Marina de Remedios, Jerson Diasonama, Johanna Faye, Evan Greenaway, Théodora Guermonprez, Linda Hayford, Karim Khouader aka Karim KH, Odile Lacides, Timotkn, Mattéo Raoelison aka Rao, Mathieu Rassin aka Thieu, Émilie Spencer aka Wounded, Raphaël Stora, Clarisse Tognella, Lorenzo «Sweet» Vayssière.
Musique : Mackenzy Bergile.
Lumière : Tom Visser