La Probabilité du Néant

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La Probabilité du Néant d’Alexandra ‘Spicey’ Landé, programmée au festival June Events à l’Atelier de Paris – CDCN, nous a permis de découvrir une chorégraphe particulièrement investie dans la scène hip-hop québécoise depuis déjà de longues années. Danseuse, chorégraphe et pédagogue, elle a fondé sa compagnie Ebnflōh en 2015.

Pour La Probabilité du Néant, Alexandra ‘Spicey’ Landé s’est entourée de huit danseurs de street dance et du DJ Shash’U, par ailleurs danseur de krump, compositeur de la bande son du spectacle. Le vocabulaire et l’esthétique de la pièce puisent dans la culture hip-hop et ses différents genres.

La probabilité du Néant d'Alexandra 'Spicey' Landé
La Probabilité du Néant © Melika Dez

Dans cette création de 2021 le public découvre, à son entrée en salle, huit interprètes au plateau qui, vêtements déchirés, arpentent inlassablement un couloir virtuel qui les amène du fond de scène au-devant du public. Ils/elles défilent ainsi comme hagards, à la dérive, perdu.es dans leurs pensées, regards vides ou noirs, emplis d’une violence sourde, traversé.es de stéréotypies gestuelles. Certain.e.s s’adressent plus précisément au public, le doigt pointé presque menaçant. L’atmosphère est inquiétante, appuyée par une bande son jouée en live par Shash’U sur un beat pesant. Peut-être la probabilité du néant est-elle déjà là sous nos yeux, dans cette longue introduction qui nous fait découvrir ces êtres que nous croisons peut-être tous les jours sans même les voir. Qui sont-ils ? N’y a-t-il pas un peu de nous en chacun d’eux ? Quelle est cette image qu’ils nous renvoient d’une humanité qui semble en perdition ? De quoi sommes-nous ici les témoins ? C’est la question que pose La Probabilité du Néant d’Alexandra ‘Spicey’ Landé.

Après cette longue introduction, les tableaux dansés vont se succéder sur des rythmes naviguant entre hip-hop et électro. Si chaque danseur à son propre style, cela ne nuit en rien à la cohérence du groupe et les unissons se trouvent même enrichis de ces différences. On assiste à un hip-hop qui n’est pas ‘auto-centré’ sur lui-même et figé dans une technicité gestuelle qui tuerait le propos. Ici la danse reste sur ces deux pieds en quelque sorte, comme le rythme d’une marche pour se déplacer ensemble et occuper tout l’espace du plateau. Alexandra ‘Spicey’ Landé montre un réel savoir-faire dans l’organisation de l’espace chorégraphique. Comme dans ce moment d’ombres chinoises en fond de scène alors qu’une des danseuses reste en solo au-devant dans une presque obscurité. Et la chorégraphe n’en oublie pas pour autant ce qui fait l’essence même du hip-hop : la proximité des danseur.ses avec leur audience, comme dans une battle où les spectateurs font cercle. Ainsi les interprètes font-ils toujours retour au bord du plateau, au plus près du public.

C’est aussi l’intensité des regards que les danseur.ses adressent au public qui fait la réussite de la pièce. Car dans la plupart des tableaux dansés, il y a toujours au moins un ou une des interprètes qui, telle une vigie, maintient un regard fixé vers le public, regard non feint et insistant, qui semble nous dire : qui est ici témoin de ce qui se passe ?

Ce à quoi, dans un final épileptique, l’une des danseuses hurle en boucle au public : “bouge ton cul !”, comme un appel à quitter notre passivité de simple témoin pour éviter la catastrophe, cette Probabilité du Néant qui, peut-être, nous attend.

Direction artistique et chorégraphe : Alexandra ‘Spicey’ Landé
Interprètes et collaborateur·ices : Nindy Banks, Ja James ‘Jigsaw’ Britton Johnson, Jaleesa ‘Tealeaf’ Coligny, Kosisochukwu ‘Kosi’ Eze, Junior ‘DJüngle’ Dorsaint, Christina ‘Hurricane Tina’ Paquette, Alexandre ‘Bibiman’ Philippe-Beaudoin, Elie-Anne ‘Rawss’ Ross.

La Probabilité du Néant au festival June Events à l’Atelier de Paris le 4 juin 2024.