Avec Ida Don’t cry me love, la chorégraphe Lara Barsacq rend hommage à la danseuse des ballets russes.
Ida Don’t cry me love débute avec le souvenir d’une petite fille qui a grandi avec le poster d’une danseuse signé de son arrière-grand-oncle. Cette petite fille, c’est Lara Barsacq qui enfant rêvait devant le portrait de la danseuse des Ballets russes Ida Rubinstein, portrait peint par Leon Bakst, célèbre décorateur et scénographe desdits ballets au début du XXᵉ siècle.
Ida Rubinstein une figure oubliée de la danse.
Ida Rubinstein eut un destin remarquable et c’est celui-ci que retrace Lara Barsacq dans cette pièce qui ambitionne de redonner toute sa place à cette danseuse célébrée des Ballets russes, égérie des artistes, mondaine, bisexuelle assumée. C’est elle qui commanda le Boléro à Maurice Ravel et le dansa pour la première fois en 1928. C’est pourtant une figure oubliée de l’histoire de la danse qui va mourir en 1960 dans le plus grand anonymat.
Lara Barsacq connaît bien son sujet, mais pas tant par son histoire familiale que par les recherches qu’elle a menées sur la danseuse oubliée. Recherche initiée par une première pièce en solo Lost in ballets russes, cette seconde pièce sur Ida Rubinstein s’est imposée à elle comme une nécessité à partager avec d’autres interprètes féminines.
Donner corps à Ida Rubinstein.
Devant une grande et belle tenture en fond de scène, sur laquelle trône un guépard, qui n’est pas sans rappeler la peinture de l’arrière-grand-oncle de la chorégraphe, elles sont trois danseuses au plateau à évoquer ensemble ou tour à tour la figure d’Ida dans ses plus grands rôles (Salomé, Cléopâtre, Shéhérazade, Jeanne d’Arc) par des prises de parole, des manipulations d’objets, des chansons et bien évidemment par la danse.
Pas de restitution dans Ida Don’t cry me love de Lara Barsacq, ou de recréation, mais plutôt la volonté pour la chorégraphe de laisser se déployer l’imaginaire à partir d’éléments historiques avérés. Ainsi les danses deviennent aussi vraies que nature sur les extraits de Ravel ou de Debussy. On imagine aisément que ces rondes à trois ou ces solos auraient pu être dansés de la sorte. On entrevoit une ronde de Matisse, des ports de bras et de mains qui font penser à Nijinsky. Et c’est toute la magie de la pièce avec ses chorégraphies, sa scénographie et sa mise en scène que d’arriver à faire surgir cet univers esthétique du début du siècle passé, donnant corps à cette Ida Rubinstein dont on ignorait presque tout avant d’entrer dans la salle.
Ida Don’t cry me love de Lara Barsacq, un manifeste féministe.
Lara Barsacq pousse plus loin son propos, car elle redonne toute sa place non seulement à la danseuse, mais également à la femme éprise de liberté qu’elle fut, et à travers elle à toutes ces femmes que l’histoire écrite par les hommes a oubliées. Ida don’t cry me love est en ce sens un portrait de femme, comme il l’est aussi des interprètes qui partagent sur scène une forme de sororité, croisant leurs propres histoires avec celle de la danseuse et des figures qu’elle a incarnées. En cela, Ida don’t cry me love de Lara Barsacq est à n’en pas douter un manifeste féministe. D’ailleurs, au début de la pièce et à la toute fin, les trois interprètes viendront entamer une danse à l’unisson main dans la main, non sans avoir au préalable dessiner de leurs mains un triangle placés devant leurs pubis.
Ida don’t cry me love de Lara Barsacq, vu à Chaillot le 31 mars 2023.
Conception Lara Barsacq en collaboration avec les interprètes : Lara Barsacq, Marta Capaccioli, Marion Sage.
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