Last Work, pièce créée en 2015 par le chorégraphe Ohad Naharin pour la Batsheva Dance Company, vient d’entrer au répertoire du Ballet de l’Opéra de Lyon, une compagnie qui excelle dans le répertoire contemporain comme on a pu le voir ces derniers mois avec Canine Jaunâtre 3 de Marlène Monteiro Freitas et Mycelium de Christos Papadopoulos.
Avec Last work, un tout autre univers, bien différent des créations précédentes citées, se déploie sur la scène de la Grande Halle de La Villette. Il y a en premier lieu la présence énigmatique de cette femme en robe bleue qui, au fond du plateau, ne cessera de courir sur place tout au long de la pièce. Métaphore du temps qui passe, d’une vie qui s’écoule peut-être avec la régularité et la constance qui lui sont nécessaires, tel le tic-tac de l’horloge à chaque pas comptés.

En avant du plateau, il en est tout autrement. Comme les pensées ou les rêveries de cette femme qui court imperturbablement, un monde fait son entrée sur la grande scène. Un premier danseur traverse de cour à jardin, dans une marche accroupie, se redresse par un grand plié puis saisi son genou, balaye le sol du pied dans un parfait équilibre sur une jambe, impulsant une ondulation de plus en plus frénétique à tout son corps. De là, une série de solos brefs se succèdent et s’égrènent. Premier regroupement des interprètes dont s’extirpe un duo avant une longue séquence au sol.
Jambes interminables se dressant comme des compas ou à l’inverse grands pliés, abaissant le centre de gravité des corps presque au ras du sol, large amplitude des mouvements, suspension, extension des bras puis repli, etc. Le vocabulaire cher à Ohad Naharin, le chorégraphe initiateur du Gaga, est aussi une affaire de contraste. Comme la bande-son éclectique, élément essentiel de Last Work, alternant rythmes électroniques hypnotiques et mélodies plus traditionnelles. Chaque nouvelle composition musicale inaugure un nouveau tableau.
Et dans ce jeu de contrastes, il faut y placer également la composition chromatique des costumes : aux couleurs lissées dans un camaïeu de shorts et tee-shirts bleus et bruns du premier tableau, succède le blanc, agrémenté de quelques tenues noires. À la vue du public, danseurs et danseuses gagnent le fond du plateau, au niveau de la femme qui court, pour revêtir des tenues blanches ou noires et prennent place assis sur la bordure. Ils et elles assistent ainsi, comme le public, aux divers solos ou duos qui se croisent sur la scène, portés par une boucle envoutante et lancinante du compositeur Grischa Lichtenberger. La danse se met à l’unisson de ces quelques notes, comme ralentie et épurée.
Les danseurs vêtus de longues chasubles noires s’adonnent à quelques rituels oubliés, tandis que d’autres, portant culottes et débardeurs blancs, se présentent, ainsi vêtu·es, dans une forme de dépouillement et de vulnérabilité. Images de rencontres et de séparations, de destins croisés, de chemins qui divergent.
D’autres images qui s’accélèrent encore lorsque, sur une musique techno de rave, l’un des danseurs hurle dans un micro déposé en fond de scène ; un autre agite un drapeau blanc au côté de la femme qui court, un troisième, de dos, se découvre finalement de face, tenant à la main une mitraillette qu’il astique. Ronde effrénée, feux d’artifice. Puis silence (de mort).
La dernière séquence voit l’homme au micro se saisir de ruban adhésif dont il entoure le pied, qui prend ainsi la forme d’une voile de bateau, avant de lier entre eux tous les interprètes immobiles répartis sur le plateau qui, dans une dernière brève séquence, semblent adresser une prière.
Le chorégraphe, à travers le vocabulaire si riche du Gaga, explore les contrastes de l’existence : la vie et la mort, la rencontre et la séparation, la vulnérabilité et la force. Les corps des interprètes, tantôt vêtus de teintes apaisantes, tantôt dépouillés et fantomatiques, puis s’animant dans une frénésie presque désespérée, condensent l’essence même de l’expérience humaine.
Si en 2015 cet « ultime travail » de Ohad Naharin pouvait être perçu dans une dimension testamentaire, sa reprise dix ans après par le Ballet de l’Opéra de Lyon met cette pièce tout autrement en résonance avec l’actualité dramatique qui se joue au Moyen-Orient. Last work, entre naufrage du monde et espérance…
Last work de Ohad Naharin par le Ballet de l’Opéra de Lyon vu le 15 mai à la Grande Halle de La Villette.
Chorégraphie Ohad Naharin Lumières Avi Yona Bueno (Bambi) Conception sonore Maxim Warratt Musique Grischa Lichtenberger Scénographie Zohar Shoef Costumes Eri Nakamura.
Interprètes : Yuya Aoki, Jacqueline Bâby, Eleonora Campello, Jeshua Costa, Katrien De Bakker, Tyler Galster, Livia Gil, Paul Gregoire, Jackson Haywood, Mikio Kato, Amanda Lana, Eline Larrory, Almudena Maldonado, Eline Malegue, Albert Nikolli, Amanda Peet, Roylan Ramos, Marta Rueda, Emily Slawski, Ryo Shimizu, Giacomo Todeschi, Kaine Ward.
Site du Ballet de l’Opéra de Lyon.
