Avec Canine jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas, programmé au festival d’Automne, sans doute a-t-on assisté là à lune des pièces la plus extravagante de la chorégraphe capverdienne qui recycle ici à qui mieux mieux, grimaces grotesques, corps mécaniques et regards hallucinés. Une démesure parfaitement interprétée par le Ballet de l’Opéra de Lyon sur le grand plateau de la grande Halle de La Villette.
Canine jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas est une pièce crée en 2018 qui répond à une commande de la Batsheva Danse Company. Elle est maintenant entrée au répertoire de l’Opéra du Ballet de Lyon, interprétée par des danseur.ses déjà rompu.es aux pièces les plus contemporaines qui soient.
Il fallait bien la grande scène de la grande halle de La Villette pour contenir les vingt-cinq interprètes du ballet. Un plateau transformé en terrain de jeu, en terrain de sport. Et selon la connaissance de chacun.e, on pouvait y voir soit un court de tennis avec son filet, soit un ring de boxe, ou une piste de stade. Ou tout cela à la fois et bien plus. Soit un espace hybride aux règles sportives totalement pulvérisées. Vingt-cinq protagonistes, interchangeables, s’y affrontent, vêtus de la même tenue de velours noir flanquée d’un dossard portant un unique numéro 3 dans le dos (ou P pour l’unique photographe), short jusqu’aux genoux, chaussettes blanches aux pieds, gants de couleur d’un bleu cardinal aux mains, sifflet autour du cou. Un panneau électronique, en fond de scène, décompte le temps qu’il reste et affiche, au son d’un buzzer, des résultats d’une compétition sportive dont on ignore les règles.
Canine jaunâtre 3 une joute sportive carnavalesque.
Alors que les derniers spectateurs entrent encore pour s’installer, les vingt-cinq interprètes viennent sur scène, se placent en cercle comme le ferait une équipe sportive avant match et entonnent en chœur The Weeping Song de Nick Cave avant de quitter le plateau. Le coup d’envoi est bientôt donné.
Retour sur le plateau. Durant une heure trente, des interprètes automates aux bouches grimaçantes cernées de rouge, les yeux exorbités vont, à l’unisson et en rythme, en ‘escadrille’ par trois, décliner toutes sortes de pas en déplacements improbables et gestes peu orthodoxes (comme cette longue séance de grattage des parties du corps) de manière mécanique, robotique, tels des pantins soumis à des forces qui les traversent et qu’ils ne maitrisent pas. Le tout dans une succession de tableaux épousant une bande son constituée de chansons de tout style allant de Chico Buarque à la pop de Rihanna, du punk sombre de Joy Division (She Lost Control) à la Symphonie N°5 de Malher.
Chaque tableau est l’occasion de modifications des trios dans un nouveau dispositif spatial et chorégraphique. Cris et chuchotements, prises de paroles robotiques au micro face au public pour un intermède participatif, tout y passe et le public répond présent à cette pièce à l’arrière-goût de compétition sportive furieusement déjantée.
La joute sportive est quasiment une constante, un trope, dans les pièces de la chorégraphe. On se souvient que Jaguar débutait avec une partie de golf, Mal – Embriaguez Divina avec une partie de Volley, ou ce qui y ressemblait, pendant que le public s’installait en salle. Dans Guintche, Marlene Monteiro paradait vêtue d’un peignoir de boxeuse avant le début du spectacle. Dans Canine jaunâtre 3, la référence « sportive » est ici portée à son comble de bout en bout de la pièce qui aurait eu toute sa place dans la programmation de l’Olympiade culturelle lors des derniers jeux olympiques de Paris.
Canine jaunâtre 3 de Marlene Monteiro Freitas & le Ballet de l’Opéra de Lyon vu le 14/12 à la Villette avec le festival d’Automne.
A propos des autres créations de Marlene Monteiro Freitas, on pourra lire les articles suivants :
D’ivoire et chair les statues souffrent aussi, Bacchantes. Prélude pour une Purge, Guintche.