Mal – Embriaguez Divina de Marlene Monteiro Freitas

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Comment rendre compte d’une pièce de Marlene Monteiro Freitas où la folie scénographique n’a pas d’égal ? Capverdienne d’origine, Marlene Monteiro Freitas use encore une fois ici dans Mal – Embriaguez Divina de ce qui la nourrit, à savoir un goût certain pour le carnaval et ses à-côtés : le grotesque, l’irrévérence, l’inversion des hiérarchies, la dépense sans compter.

Du titre qu’elle traduit du portugais par « Mal – Ivresse Divine », elle rappelle que l’expression « ivresse divine » vient de l’écrivain Georges Bataille dont l’essai La Littérature et le mal a été une source d’inspiration. La notion de « dépense » essentielle dans l’œuvre de l’écrivain français semble effectivement trouver une forme d’incarnation dans les pièces de la chorégraphe.

On se souvient que Jaguar, pièce beaucoup plus ancienne, commençait avec la fin d’une partie de golf sur le plateau, ici Mal – Embriaguez Divina débute avec une partie de Volley, ou ce qui paraît y ressembler, en arrière scène pendant que le public s’installe en salle. Lorsqu’une détonation se fait entendre, un homme en arme surgit on ne sait d’où, casquette vissée sur la tête, ganté de blanc, dans un habit violet immaculé. Il monte ainsi la garde durant de longues minutes durant la diffusion d’un dialogue de film en fond sonore. Il est rejoint par les huit autres interprètes, et tous, personnages hallucinés aux yeux exorbités, hagards, noyés dans la démesure, viennent prendre place sur une étrange architecture composée de trois niveaux, entre tour de Babel, perchoir et amphithéâtre, trônant au centre du plateau. 

Lorsqu’ils ne sont pas perchés, au sens propre comme au figuré, sur leur estrade, ces personnages déambulent de manière robotique, défilent au pas ou entament quelques pas de danses mécaniques avant de reprendre leur place sur leur perchoir et de céder à nouveau à des activités compulsives et dérisoires. Là est sans doute l’ivresse.

Mal – Embriaguez Divina e Marlene Monteiro Freitas
Visuel : Mal – Embriaguez Divina © Peter Hönnemann

Mais pour l’essentiel, c’est en cette architecture que se tient le mal dans ses diverses manifestations que le spectateur reconnaît plus ou moins aisément : école, tribunal, salle de spectacle, hôpital, etc., enfin tout lieu où le mal sévit aussi sous sa forme la plus insidieuse à savoir administrative et bureaucratique. C’est en tout état de chose l’interprétation que l’on peut donner de ces masses de feuilles de papier qu’on échange, classe, trie, lit, tamponne et qui circulent comme autant de formulaires, de dépositions, de rapports probablement kafkaïens, voire d’éléments de décor, collés sur le visage, couronne portée sur la tête d’une reine que l’on verra danser « cul par-dessus tête », drapeau blanc dressé, instrument de musique, etc.

Dans Bacchantes. Prélude à une purge, les pupitres détournés de leur usage premier avaient cette vocation de subir toutes les transformations possibles, devenant parapluies, armes à feu, portes drapeau, etc. Ici, c’est la feuille de papier grâce à sa qualité de malléabilité qui est l’élément essentiel de la métamorphose et de l’hybridation. Elle est ce qui permet, sans qu’on y prenne attention, de sortir d’un tableau pour entrer dans un autre. Objet de transition (voire objet transitionnel) la feuille de papier permet d’enchâsser les tableaux les uns dans les autres à la manière de poupées russes. L’un des plus réussis est sans conteste celui où les personnages fabriquent des maquettes de villes en papier sur la musique de la Tarantelle del Gardano, beau moment de poésie hallucinée. Ainsi tout est passé à la moulinette d’une scénographie délirante qui dès lors nous amène à la source du mal.

Si on peut regretter quelques petites longueurs dans Mal – Embriaguez Divina qui dure 1h45, il n’en reste pas moins que cette dernière création de la chorégraphe emporte tout sur son passage et nous propose un regard tout à fait salutaire sur nos zones d’ombres et notre « part maudite ».

Mal – Embriaguez Divina de Marlene Monteiro Freitas vu au Centre Pompidou le 04/11/2021.
Chorégraphie : Marlene Monteiro Freitas


A propos des créations de Marlene Monteiro Freitas, on pourra lire les articles suivants :
D’ivoire et chair les statues souffrent aussi, Bacchantes. Prélude pour une Purge, Guintche.