15 et Jakie par le Nederlands Dans Theater

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Le Nederlands Dans Theater était à Paris pour présenter 15 et Jakie deux créations chorégraphiées respectivement par Tao Ye et Sharon Eyal & Gai Behar. Construites sur des unissons dansés par un grand groupe d’interprètes, ces deux pièces ont proposé des esthétiques pour le moins très contrastées voire diamétralement opposées.

15 de Tao Ye et le Tao Dance Theater.

Tao Ye, chorégraphe chinois, n’est pas un total inconnu pour les habitués du Théâtre de la Ville. Il y a été reçu à plusieurs reprises entre 2014 et 2019. Le chiffre 15 qui donne le titre à la pièce pourrait sembler être tiré du nombre d’interprètes présents sur le plateau. En réalité, Tao Ye désigne ainsi ces pièces avec une numérotation de chiffres. Il n’y a donc pas de sous texte narratif à retrouver dans ce 15 qui peut sembler énigmatique. On entre de plein pied dans une pure abstraction chorégraphique et géométrique.

Dans une lumière d’un (presque) gris métallisé, les 15 interprètes du NDT sont disposés selon un motif triangulaire. Ce dispositif constitue le socle inamovible de la pièce. Vêtus de larges pantalons noirs et d’un juste au corps couleur chair pour les danseuses, ils et elles entament une danse à l’unisson constituée des phrases répétées en boucle. Les mouvements de bras qui fendent l’air sont le moteur d’une mécanique inexorable. Les mains se frappent le corps ajoutant une couche de percussions corporelles à la bande son percussive minimaliste de Xiao He.

Lorsque les interprètes se déplacent, c’est tous ensemble sans quitter la disposition en triangle qui avance alors vers l’avant-scène. Même dans cette belle séquence au sol, l’unisson est total. Il impressionne par ces montées de jambes vers les sommets qui permettent les rotations des bassins et des corps qui retombent au sol. Le dernier tableau quant à lui offre une variation de cette géométrie triangulaire dans laquelle un second triangle vient s’inscrire dans le premier comme un rouage de bielle de machine. La composition sonore de Xiao He, s’est alors remplie de boucles répétitives qui accompagnent une accélération de la danse. Avec 15, Tao Ye propose une chorégraphie au cordeau, dans laquelle chaque danseur est le rouage d’une grande machine dansante.

15 par le Nederlands Dans Theater
Nederlands Dans Theater, 15 de Tao Ye © Rahi Rezvani

Jakie de Sharon Eyal et Gai Behar.

Avec Jakie, on passe du noir et blanc à une lumière colorée, de la netteté à une atmosphère brumeuse, de la clarté des lignes au flou des formes. D’entrée, on y perçoit presque rien à part quelques vagues silhouettes blanchâtres au devant de la scène. Derrière tout reste encore imprécis quelques minutes. La scène baigne dans un sfumato léonardien à mille lieues de la géométrie moderniste de 15.

Lorsqu’il est possible d’en voir un peu plus, on retrouve 16 danseur.euses du Nederlands Dans Theater sur demi-pointes, vêtu.e.s d’un même body unisexe couleur chair. La majeure partie d’entre eux/elles sont groupé.es dans une disposition triangulaire qui à la différence de la pièce précédente n’en constitue que le point de départ. Et si le ‘gros de la troupe’ est déjà à l’unisson, quelques éléments en sont déjà d’emblée détachés.

Et c’est là une autre différence de taille d’avec 15 de Tao Ye. Si dans Jakie l’unisson est bien le socle fondamental de la pièce, avec ses déplacements sur demi-pointes, ses déhanchés du bassin, ses bras qui surgissent au dessus des têtes, il s’y produit sans arrêts des éclats d’individualité qui viennent, comme des contre-points, en rompre la régularité et l’ordonnancement. De plus, Sharon Eyal explore des dispositions tout à fait inattendues comme ces grandes diagonales qui se croisent, une forme de ronde ou un alignement des danseur.seuses sur quatre colonnes. La chorégraphe semble même ‘pervertir’ avec ironie ses propres règles de composition, pour autant que cela en soit, avec un unisson que se transforme en canon, ou des unissons en miroir qui viennent troubler notre perception du groupe et des corps.

Avec 15 et Jakie, un double programme de haute volée, le Nederlands Dans Theater fait carton plein. Et Il semble bien qu’avec cette nouvelle programmation dans la grande salle du Théâtre de la Ville, Sharon Eyal et Gai Behar deviennent les nouvelles coqueluches (sans doute à raison) de la scène contemporaine.

15 et Jakie par le Nederlands Dans Theater, vu le 21 octobre au Théâtre de la Ville.
15, chorégraphie & scénographie : Tao Ye, composition musicale : Xiao He.
Jakie, chorégraphie & scénographie : Sharon Eyal & Gai Behar, création sonore : Ori Lichtik.


On pourra retrouver Sharon Eyal et Gai Behar au 104 Paris avec Chapter 3 : The Brutal Journey of the Heart, et à Chaillot hors les murs à La Villette en Avril 2024 avec Into the Hairy.

Lire nos articles précédents sur les créations de Sharon Eyal et Gai Behar : Promises, The Brutal Journey of the Heart, Soul Chain.

JAKIE par le Nederlands Dans Theater
Jakie, Sharon Eyal & Gai Behar © Rahi Rezvani