Solveig Rocher, dans une performance hypnotique sur une musique techno jouée en live par Remy Clair, prend son envol avec le courage des oiseaux*.
Nous étions au Regard du Cygne en ce mois de décembre dans le cadre du festival Signes d’Automne pour assister aux séances des Spectacles Sauvages dédiés aux artistes chorégraphiques (souvent jeunes) présentant de courtes formes de travaux en cours ou des extraits de pièces tout juste achevées en attente de programmation. Parmi les multiples propositions, Solveig Rocher, danseuse, chorégraphe et Remy Clair, musicien, présentaient un extrait de leur première création commune.
Béton : la conférence des oiseaux de Solveig Rocher.
Le titre énigmatique Béton : la conférence des oiseaux éveilla notre curiosité dans cette association inattendue de deux champs sémantiques que tout oppose pourtant : le minéral et le vivant, la dureté et la fragilité. Curiosité renforcée par la lecture d’une carte, au format carte postale, déposée sur une des tables du Regard du Cygne. Sur son endroit, un dessin en noir et blanc, focus sur un détail de plumage. Sur son pourtour, le titre de la performance à venir Béton : la conférence des oiseaux et ces quelques précisions : « danse, techno, 45 minutes, Solveig Rocher et Remy Clair ».
Au verso un texte qui, sous la forme d’une liste, recense pêle-mêle des phénomènes ou accidents plus ou moins naturels et historiques qui ont à voir avec la chute (les dents, la pluie, le dirigeable Hindenburg, etc.) et les noms de personnages qui connurent des destins tragiques en s’écrasant au sol (ce béton dont il est question dans le titre ?) au rang desquels : Franz Reichelt sautant du premier étage de la tour Eiffel en 1912 ; Ana Mandieta, artiste défenestrée à New-York ; Bas Jan Ader autre artiste qui avait fait de la chute le sujet de son œuvre et se perdit en mer dans une dernière performance. Et bien sûr Icare.
Voler comme un oiseau.
De la pièce, nous ne verrons qu’un extrait d’une vingtaine de minutes de cette conférence performée, et plus précisément le focus consacré au vol des oiseaux.
Au plateau, dans un dispositif circulaire, dessins, textes, laptop et contrôleur audio sont disposés à même le sol. Solveig Rocher entame sa conférence des oiseaux en énonçant au micro quelques considérations ornithologiques et caractéristiques de vols de différentes espèces. Lorsque Remy Clair la rejoint pour lancer la composition musicale, la danseuse se tient alors face au public, les bras le long du corps, poignets légèrement pliés, les yeux clos.
À mesure que la bande-son jouée en live évolue et monte en intensité dans une surenchère hypnotique de beats de pure techno, Solveig Rocher, traversée de tremblements qui s’emparent de tout son corps jusqu’à la pointe des pieds, entre dans un état de transe qui, sous nos yeux, l’a fait advenir progressivement à cet état d’oiseau. Ses bras semblent déployer des ailes qui nous restent invisibles, mais dont on croit percevoir l’étendue. Elle n’imite pas l’oiseau, elle est cet oiseau en vol. Cet état de transe est l’incarnation même d’un ‘devenir oiseau’ dans une performance radicale, intense, qu’elle livre à cet instant au public et qui conclura cet extrait de la performance.
Dans un registre fort différent, on pense à la performance Un Oiseau de Joana Schweizer et la compagnie Aniki Vóvó. Car ces deux pièces trouvent leur ancrage commun dans la période de la covid qui nous a tenus confinés durant de longs mois. Solveig Rocher précise à ce propos avoir visionné, durant la pandémie, des reportages qui faisaient état de la chute d’oiseaux migrateurs tombant du ciel d’épuisement.
Contrainte obligée de ces Spectacles Sauvages (la présentation d’un court extrait), rien ne nous sera livré ce soir-là de ce qui constitue à n’en point douter le point d’orgue de Béton : conférence des oiseaux, à savoir la chute. On espère alors une programmation à venir pour découvrir la performance en son entier.
Si voler, et sa métaphore extatique, peuvent-être entendus comme une manifestation du désir d’échapper à la fureur du monde, la gravité, bien réelle, nous rattrape toujours au bout de la nuit, à l’aube naissante. Voler comme un oiseau, mais tomber comme une femme / un homme. Dans cet écart se trouve toute la tragédie de notre humanité.
Béton : la conférence des oiseaux, conception, chorégraphie, composition, performance : Solveig Rocher et Remy Clair.
Vu le 11/12 au Regard du Cygne, les Spectacles Sauvages / festival Signes d’Automne.
Sur le travail der Solveig Rocher consulter le site : cie MIMOÏDE.
* titre d’une chanson de Dominique A.
Photos Solveig Rocher, Béton : la conférence des oiseaux © filipf.o.t.o / Avoiretadanser
