Cindy Van Acker est une chorégraphe d’une envergure internationale. Bien que formée au classique et ayant fait ses armes dans le Ballet royal de Flandres, elle devint l’interprète de chorégraphes contemporains dans les années 1990 et créa sa propre compagnie en 2002. Elle a maintenant à son répertoire la création d’une vingtaine de pièces.
Speechless Voices débute par une petite mélodie de glockenspiel jouée depuis un tourne-disque. Mais c’est sur une musique électro que va se poursuivre les 2/3 du spectacle. À n’en pas douter, la place et le traitement accordé à cette bande son constitue un des vecteurs de cette pièce. La lecture de la feuille de salle nous informe à ce sujet : composée par le musicien Mika Vainio, son décès en 2017 a fortement marqué la chorégraphe qui lui a dédié cette création.
Dans un décor drapé de blanc, sous un lustre suspendu, six interprètes, quatre femmes et deux hommes, eux-mêmes vêtus de blanc, vont constituer dans un mouvement permanent des suites de tableaux qui ne sont pas sans rappeler certaines peintures de déploration. Positions des mains et des bras, regards levés au ciel, etc., semblent constitués la matière première de ce premier acte. Certains gestes réapparaissent de l’un à l’autre des danseurs et se déplacent avec eux et c’est assez réussi dès lors qu’on accepte cette écriture chorégraphique. Sur la fin la gestuelle nous a parues quitter la référence picturale pour des références d’actualités plus proches de nous : des poings levés qui nous ont rappelé ceux des coureurs noirs américains aux jeux olympiques de 1968, suivi d’une scène qui nous a laissé entrevoir une référence à la célèbre photographie de Nick Ut montrant une fillette brulée au napalm en 1972 durant la guerre du Vietnam.
Dans un 2ᵉ tableau, le décor blanc va disparaître et laisser place à des murs peints sombres. C’est sans doute là qu’il faut voir l’inspiration que constitue pour la chorégraphe le peintre Michaël Borremans, dans ces couleurs de terre du décor et dans une trame figurative : ici les six danseurs ne font plus corps ensemble, et deviennent des figures isolées à l’image des personnages peints de Borremans. On remarque le beau duo de deux des danseuses qui partant d’un léger signe de la main développent peu à peu une gestuelle plus ample et abstraite, affirmant une géométrie de lignes et de larges déplacements dans l’espace.
Enfin un troisième tableau se déroule sur La passion selon St-Mathieu de Bach alors que les interprètes, après s’être parés d’ornements et de bijoux comme pour un rituel, partent dans une ronde commune et une gestuelle limitée à quelques gestes, encore influencés du baroque, répétés et décalés des uns aux autres.
La pièce s’achève enfin sur la petite mélodie au glockenspiel entendue en ouverture.
Pièce austère s’il en est qui dirait la perte d’un être cher, elle semble aussi contenir de multiples références qui en font une belle pièce sans aucun doute, mais également complexe à appréhender en un unique regard.
Speechless Voices de Cindy Van Acker vu le 23 janvier au Carreau du Temple / festival Faits d’hiver.
visuel : VanAcker, Speechless Voices © Mathilda Olmi