Einstein on the Beach de Susanne Kennedy

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Einstein on the Beach de Susanne Kennedy, une version pour le XXIe siècle ?

Einstein on the Beach de Suzanne Kennedy
Einstein on the Beach © Ingo Hoehn

Pour quelle raison évoquer ici Einstein on the Beach, l’opéra fleuve de Robert Wilson, Philip Glass et Lucinda Childs dans sa version contemporaine, celle de la metteure en scène allemande Susanne Kennedy invitée du festival d’Automne. Car de la danse de Lucinda Childs et de la scénographie de Bob Wilson il ne reste rien. Les puristes crieront sans doute au scandale et au kitch. Les autres s’enthousiasmeront pour cette performance hors norme, bâtie sur les ruines d’un ancien monument créé en 1976, dont il ne reste ici que les fondations, à savoir la partition incroyable de Philip Glass, dont il a été retranché tout de même 2 heures dans cette version.

Nous n’avons encore jamais eu l’opportunité de voir la version originale d’Einstein on the Beach si ce n’est sous la forme d’extraits filmés. On peut d’ailleurs trouver actuellement sur internet un enregistrement de la version d’origine filmé en 2014 au Théâtre du Châtelet qui fournit une bonne indication de ce qui a été supprimé dans cette version « reload ».

Monde de demain vs monde d’hier.

Pour le dire succinctement, la version du siècle passé (car il faut bien dire les choses de cette manière) était composée autour d’espaces fortement structurés, orthonormés, très contrastés. Soit les espaces de la vie moderne : le train, le tribunal, la prison, etc. Rien de tel dans le Einstein on the Beach de Susanne Kennedy qui nous parle d’un monde d’après, un monde qui se fait et dont on imagine qu’il tente de se réinventer. A la forme épurée de la ligne la metteure en scène a substitué la forme circulaire (métaphore de la course du temps infini) avec cet immense plateau tournant sur lequel évoluent les protagonistes de cet opéra grand format. Une giration qui supprime la forme séquentielle de la succession de tableaux de la version première.

Plateau pensé comme un paysage, avec la complicité de Markus Selg, avec sa colline, quelques arbrisseaux, une grotte, un temple avec deux cariatides et un autel supportant une tête de bouc, un grand escalier ressemblant à une pyramide aztèque, surmonté d’une structure circulaire comme une porte futuriste, point de passage, sa plage de sable (on the beach), etc. Un paysage qu’on imagine assez facilement post-apocalyptique, aride et dans lequel une communauté se réinvente. Difficile de ne pas y voir une version d’après la bombe nucléaire du pauvre Albert et dont ce serait là la seule présence, le seul héritage dans cette version-ci.

Einstein on the Beach de Susanne Kennedy réinvente des rituels.

Pendant 3 heures 30, choristes aux visages recouverts de masques translucides, récitantes, danseur.euses se partagent ces différents espaces et se déplacent jusque dans les travées dans des tenues aux motifs colorés, tendance cachemire flashy. L’ensemble du décor épouse également ces couleurs du « sol au plafond ». En hauteur, des surfaces / écrans accueillent des images projetées différentes selon les actes de la partition de Glass (arbres, architectures qui se décomposent, feuillages).

Dans le Einstein on the Beach de Bob Wilson et Philip Glass, le public pouvait aller et sortir à sa guise. Ici, invité à venir au plateau, le public ne se fait pas prier allant jusqu’à s’installer au plus près (trop) des choristes et interprètes. L’ensemble prend des allures de fêtes païennes initiant de nouveaux rituels ou bien de fêtes foraines néo new-âge. Pourtant on s’y laisse prendre car oui c’est terriblement efficace. Comme l’indique Susanne Kennedy : « Le rituel porte également en lui une certaine forme de transe, le fait que l’on soit plongé – ou que l’on se plonge soi-même – dans un état de conscience augmenté. Une qualité naturellement très présente dans la musique de Glass : ces répétitions, cette longueur, ces variations minimales exigent que l’on cesse d’y réfléchir de manière intellectuelle mais que l’on s’y abandonne » (entretien avec David Sanson).

En effet dès les premières notes d’un orgue qui s’étire à l’infini, d’un texte constitué de répétitions et d’énumérations de suites de nombres, la magie à opéré et ne nous a plus lâchés.

Einstein on the Beach de Susanne Kennedy vu le 25/11/2023
Conception : Susanne Kennedy, Markus Selg. Mise en scène : Susanne Kennedy. Scénographie : Markus Selg.
Direction musicale : André de Ridder, Jürg Henneberger.

Avec le festival d’Automne.

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Einstein on the Beach © Ingo Hoehn