De la compagnie Tumbleweed créée par Angela Rabaglio et Micaël Florentz et basée à Bruxelles, nous connaissions le beau duo The Gyre. Les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis programmaient les deux dernières créations de la compagnie inédites en France A Very Eye et Dehors est blanc.
A Very Eye.
A l’entrée du plateau, une affichette indique : “A Very Eye, une invitation à l’errance” et à laisser à l’entrée nos affaires et nos chaussures pour bouger librement dans tout l’espace. Cela fait, sans obligation aucune, le public pénètre dans une salle sombre, sans chaise, ni gradin. Le sol est recouvert d’une longue et large moquette blanche sur laquelle sont déjà installés et éparpillés ceux et celles qu’on imagine être les interprètes de la pièce à venir. Le lieu se remplit des spectateurs qui pour beaucoup s’installent à même le sol. On ne sait plus qui est qui dans cette atmosphère tout à fait étrange. Certains suivent l’invitation à la déambulation et font l’expérience de cette promenade entre tous ces corps posés au sol.
Peu à peu des marches plus vives, des courses tranchantes des performeurs animent le plateau et obligent le public à se déplacer. Nous serions assez vite tentés nous aussi de suivre ces courses. Brefs mouvements de foule, créations et recompositions d’espaces disponibles jusqu’à ce centre qui se libère et dans lequel prennent place les danseurs.ses pour débuter leurs pas de six. Un pattern identique pour chacun d’entre eux les fait se croiser invariablement au centre d’un cercle virtuel pour en ressortir avant d’y pénétrer à nouveau dans un mouvement continu et inexorable.
Dans The Gyre, la précédente pièce de la compagnie Tumbleweed dansée par Angela Rabaglio et Micaël Florentz, un même motif de pas faisait se déplacer le duo autour d’un axe central dont il ne déviait jamais. Nous retrouvons dans A Very Eye ce principe mais élargi aux six performeurs. A partir d’un motif commun de déplacement, tels des électrons ou des particules élémentaires tournant et se croisant autour d’un noyau invisible, ils se frôlent ou s’esquivent, se tiennent ou se touchent dans de multiples variations. Ils ne se lâchent pas du regard absorbés par un même mouvement perpétuel réglé au cordeau.
La composition chorégraphique est comme un motif décoratif vivant au rythme de la contraction et de l’expansion qu’impulsent les performeurs. Les espaces entres les corps ont autant d’importance que le dessin de la composition. C’est entre ces espaces interstitiels qui se présentent que peut se tracer le dessin du motif.
Minimale, géométrique et organique, A Very Eye révèle toute la sensualité des corps dans une chorégraphie immersive totalement hypnotique.
Conception et chorégraphie : Angela Rabaglio and Micaël Florentz
Performeurs : Sergi Parés, Mona Felah,Charlie Prince, Jeanne Colin, Angela Rabaglio, Micaël Florentz.
A Very Eye vu le 07/06/2023 au Pavillon de Romainville.
Dehors est blanc.
Dehors est blanc est la seconde création de la compagnie Tumbleweed présentée aux Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis. Une pièce tout en apesanteur et en suspension.
Comme pour A Very Eye le public pénètre dans une salle assombrie pour s’installer sur les 3 côtés du plateau d’un blanc immaculé, seule source de lumière qui variera au cours de la performance. Au centre, une masse sombre relativement indistincte flotte à mis hauteur installant un trouble perceptif. Dehors est blanc emprunte son titre à ce phénomène optique que l’on observe dans des conditions météorologiques extrêmes et dans lesquelles l’horizon et la profondeur de champ s’estompent. C’est à cette abolition de nos repères perceptifs habituels que nous convie cette “installation chorégraphique”.
De cette masse sombre en apesanteur émergent les corps des trois performeurs, Angela Rabaglio, Micaïl Florentz et Sergi Parés. Ils se détachent peu à peu les uns des autres. Grâce à un mécanisme de poids et contre poids que l’on peut percevoir en fond, ils sont suspendus au-dessus du plateau et tels des astronautes évoluent et explorent durant une cinquantaine de minutes cet espace entre ciel et terre sur une très belle bande son d’Anne Lepère déjà créditée pour A Very Eye.
S’il est assez fascinant pour le spectateur de voir des corps flotter de la sorte et se mouvoir dans un état de suspension, l’expérience doit être particulièrement forte pour les performeurs eux-mêmes au comble de cette perte de repères entre les différents plans qui nous aident à nous mouvoir avec aisance lorsque nous sommes sur nos deux pieds.
Il faut bien dire que la performance est tout à fait exceptionnelle. Les regards que s’adressent les performeurs entre eux ou en direction du public nous rappellent qu’il s’agit aussi de nous faire partager une expérience tout à fait inédite tant il est vrai que nous avons rarement l’occasion de voir des corps en état de suspension d’aussi près.
Il nous aura peut-être manqué ce petit quelque chose, ce “je ne sais quoi” supplémentaire pour faire, in fine, pleinement l’expérience de la désorientation et de la perte de repères et apprécier totalement cette “installation chorégraphique”. Comme peut-être la possibilité de quitter le siège auquel nous étions assujettis par obligation pour adopter une forme de déambulation qui nous aurait permis d’accentuer notre trouble perceptif.
Mais nul doute que cette “installation chorégraphique” trouvera son chemin et saura aussi s’adapter à d’autres lieux. Ainsi une version solo est déjà prête pour de futures programmations.
Conception et chorégraphie : Angela Rabaglio and Micaël Florentz.
Performeurs : Angela Rabaglio, Micaël Florentz, Sergi Parés.
Vu le 10/06/2023 à la MC93.
Site de la cie Tumbleweed
