La danse à fleur de peau de Manon Parent dans le solo Scarbo.
Le Festival Faits d’Hiver en partenariat avec le théâtre de la Ville présentait Scarbo un solo dansé par Manon Parent et co-chorégraphié avec Ioannis Mandafounis. Scarbo est le titre de la 3ᵉ pièce du poème musical composé par Maurice Ravel, Gaspard de la nuit en 1908, repris des poèmes d’Aloysius Bertrand, au titre éponyme, paru en 1842.
Un plateau blanc ; une rangée de chaises noires alignées au fond. La danseuse Manon Parent entre avec détermination sur le plateau et s’avance tout près du public pour adresser, sourire aux lèvres, désarment, un regard à chacun des spectateurs. Cela fait, elle se dirige vers son laptop situé dans un angle pour lancer la bande son.
Manon Parent excelle sur la musique de Debussy et Ravel. Sa danse est fluide, large. Ses courses sillonnent le plateau, avant des arrêts brusques, comme rattrapée par on ne sait quelle pensée ou affect. Comme emportée par son élan, elle sort aussi du plateau quelques fois pour monter dans les travées ou se saisir de la main d’un spectateur avant de repartir avec une vraie liberté de mouvements, les bras largement ouverts.
Mais cette danse ne serait pas aussi étonnante sans ces moments durant lesquels Manon Parent livre quelque chose d’autre au public. Comme un ‘supplément d’âme’, l’expression d’une forme d’intimité à travers un jeu de présence / absence, de regards adressés au public et d’autres perdus au loin, mais comme tournés vers l’intérieur d’elle-même, à la manière d’une enfant happée tout à coup pour son imaginaire. Il y a quelque chose de l’enfance dans cette danse, une forme de porosité immédiate entre réel et imaginaire que la danseuse réussit à nous transmettre. Et cela est tout à fait fascinant.
L’improvisation comme méthode.
Cela est le fruit d’un long travail et d’une longue collaboration de la danseuse avec le chorégraphe Ioannis Mandafounis, co-auteur de la pièce. Ancien danseur chez William Forsythe, nous l’avions apprécié il y a quelques années dans un duo avec Fabrice Mazliah autre danseur de la Forsythe Company. Depuis de nombreuses années, il développe une méthode et des outils d’improvisation qui permettent de produire des pièces totalement improvisées, mais qui ont l’air écrites.
C’est cette méthode que met à profit Manon Parent dans Scarbo pour offrir tant d’elle-même au public, sans filtre, tout en construisant une dramaturgie qui tient le spectateur jusqu’à la fin. Après l’évocation d’un souvenir d’enfance cruel, et la reprise a cappella du fameux Jesus’ blood never failed me yet (qu’on a pu entendre dans Quintett de William Forsythe et May B. de Maguy Marin), la pièce prend une tournure plus sombre. Le plateau est mis sens dessus dessous : le tapis de sol est retourné pour afficher son verso noir, les chaises sont projetées au milieu du plateau. Pourtant, la danse subsiste toujours aussi fluide et intense. Une danse de la renaissance sur La Bonne Chanson de Verlaine, parmi les ruines de la mémoire et du réel.
Scarbo de Ioannis Mandafounis et Manon Parent vu à l’Espace Cardin, Festival Faits d’Hiver le 3 février 2023.
Scarbo, concept et chorégraphie : Ioannis Mandafounis ; chorégraphie et interprétation Manon Parent.
Visuel @ Jean Baptiste Bucau