L’Epouse et La Ménagère : les inquiétants portraits de Rebecca Journo.
Le Regard du Cygne programmait dans le cadre du festival Signes d’automne deux pièces du répertoire de la jeune chorégraphe Rebecca Journo : L’Épouse suivie de La Ménagère, constituant un diptyque parfait, soit deux portraits jouant sur les stéréotypes de la figure féminine dans des situations particulièrement connotées.
L’Epouse.
Le solo de L’Épouse se déroule avec un dispositif tout à fait particulier puisque le public est sur le plateau. Cette épouse apparaît sous le feu d’une source lumineuse projetant son ombre portée plus grande sur le mur opposé. Tout de blanc vêtue, elle est fardée comme une poupée de porcelaine aux joues rehaussées de rouge, un petit bouquet de fleurs à la main.
La performance consiste en un long et lent déplacement au milieu du public. Le corps de la danseuse s’anime de spasmes, de petits gestes de la main, de regards adressés aux spectateurs immédiats qu’elle croise. Regards joyeux ou résignés ? On ne sait, tant l’expressivité de la danseuse semble retenue à l’intérieur d’elle. Sur ce chemin – de croix – des chutes brutales au sol nous présentent un corps défaillant, dépossédé de lui-même et qui se relève presque aussi mécaniquement qu’il avait chuté : L’Épouse de Rebecca Journo ne s’appartient plus.
Nous appelle-t-elle à l’aide lorsqu’elle nous regarde ? Nous la laissons poursuivre son chemin. L’inquiétante étrangeté est au cœur de cette marche nuptiale aux allures de cérémonie funèbre appuyée par la composition musicale pour orgue de la compositrice Claire M Singer, parfaite ici pour distiller une atmosphère glaçante à la Tim Burton, une des sources d’inspiration de la chorégraphe pour cette création.
La ménagère.
La Ménagère constitue le pendant parfait de L’Épouse. Comme un portrait à la manière d’une Cindy Sherman, photographe qui travaille sur la représentation des stéréotypes féminins, Rebecca Journo reprend les codes de l’univers publicitaire, mettant en situation une femme en mouvement dans le pré carré de sa cuisine.
Répétant inlassablement la même boucle de déplacement avant de revenir à son point de départ, le corps de La Ménagère est animé des gestes qui constituent l’effectuation métaphorique de tâches ménagères dans cet environnement restreint et aliénant. Le corps devient comme une machine ou une marionnette, entre automatisme désincarné et épuisement désespéré. La mécanique se grippe, le corps de la ménagère se désincarne et n’est plus mû que par ses seules représentations stéréotypées. La création sonore de Mathieu Bonnafous épouse parfaitement le propos de la chorégraphe.
Avec L’Épouse et La Ménagère, Rebecca Journo s’affirme avec un univers puissant, à la croisée de multiples influences (cinéma, photographie, marionnette). Diplômée en danse au Trinity Laban de Londres, elle est interprète pour d’autres chorégraphes et fonde sa compagnie La Pieuvre en 2018 avec Véronique Lemonnier. Elle a également créé le trio Whales s’inspirant du chant des baleines et présentera sa dernière pièce, Portrait, inspirée des œuvres de Cindy Sherman, Francesca Woodman et Modigliani, au Théâtre de l’Étoile du Nord à Paris les 21 et 22 janvier 2022 dans le cadre du festival Open Space.
L’Épouse et La Ménagère de Rebecca Journo, vu au Regard du Cygne le 20/11/2021.
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