Jean-Yves, Patrick et Corinne par le Collectif ÈS.
Le festival Jogging qui s’est tenu au Carreau du Temple fin juin présentait plusieurs créations chorégraphiques qui jetaient des ponts entre danse et sport. Le collectif ÈS présentait une pièce de 2017, Jean-Yves, Patrick et Corinne, prénoms des parents des interprètes, où l’aérobic le dispute à la danse contemporaine. Peut-on faire un spectacle de danse en s’appropriant des gestes puisés dans un champ qui relève d’une activité sportive comme l’aérobic ?
Trios pour 5 interprètes.
Jean-Yves, Patrick et Corinne est une pièce constituée pour l’essentiel d’une série de séquences dansées en trio de façon imbriquée, voire contrainte, comme si ces corps-là ne voulaient pas se quitter, dans une sorte de danse contact entre lutte gréco-romaine et élasticité à la Buster Keaton, s’empoignant pour aller d’un point A à un point B. Une fois arrivé, un nouveau trio renouvelé d’une partie de ses interprètes reprend cette même séquence. Ainsi se décline une grande partie de la pièce du Collectif ÈS selon ces principes d’interchangeabilité des interprètes et de la répétition ou de la duplication du geste, mais en y introduisant une légère modification, qui n’est pas anodine, puisque c’est celle d’un corps qui en remplace un autre, mais effectue en même temps la même “tâche”. Ce qui amène le spectateur à s’interroger sur ce qu’il voit, a vu, ce dont il se souvient.
Faire du neuf avec du vieux ?
Du côté du danseur et du créateur du mouvement, la question est alors celle de la réappropriation d’un geste et plus largement celle de la copie, voire du plagiat. Que signifie copier, emprunter un geste en danse. L’une des interprètes évoque ainsi la chose durant le spectacle : “Comment faire un spectacle de danse véritablement ? (…) Faire quelque chose d’original, de nouveau, d’authentique. Voilà un terme encore problématique.”
Aussi ne s’embarrassant guère de cette injonction à faire original, le Collectif s’est réapproprié l’aérobic des années 80 et la musique qui l’accompagnait, puisant dans cet héritage gestuel et musical pour créer une partition énergique et plutôt drôle où la question du regard adressé au spectateur est aussi centrale à la fois dans ces longs intermèdes, le temps d’une chanson, où une interprète, seule immobile au plateau, se tient devant les spectateurs mais également dans les séquences en trio où chacun, comme indifférent à la situation dansée cherche le regard du spectateur.
Une pièce qui mêle donc plusieurs niveaux de lecture et qui ravit par sa tonicité et sa drôlerie dès lors qu’on n’est pas réfractaire à l’univers musical de ces années 80, de Whitney Houston à Georges Michael en passant par Bonnie Tyler.
Pièce vue au Carreau du Temple le 29 juin 2022, festival Jogging avec Sidonie Duret, Émilie Szikora, Jérémy Martinez, Adriano Colletta et Alexander Standard.