Présentée au Théâtre de la danse de Chaillot, R-A-U-X-A d’Aina Alegre, bien que datant de 2020, a offert un regard précieux sur le travail de la chorégraphe catalane. Depuis cette création, Aina Alegre, aujourd’hui codirectrice du CCN Grenoble avec le danseur Yannick Hugron, a par ailleurs signé deux pièces de groupe remarquées : This is not (an act of love & resistance) en 2022 (article à lire) et Fugaces en 2025.
R-A-U-X-A : la danse impétueuse d’Aina Alegre.

Le titre de la pièce n’est pas un acronyme dont le sens complet nous resterait caché. Le mot rauxa possède un sens tout à fait défini en catalan, langue d’origine de la chorégraphe. Il peut se traduire par folie, fougue, ardeur, opposé à celui de « seny » qui se définit lui comme bon sens et sagesse. Une dualité qui n’est pas sans rappeler l’antagonisme entre le dionysiaque et l’apollinien. C’est précisément cette impulsion subite, cet élan vital presque irrationnel, que la pièce explore. À travers un engagement corporel total, Aina Alegre convie le spectateur à un rituel moderne, où le corps se fait le catalyseur d’une transe libératrice.
Sculpter l’espace visuel et sonore.
Sur scène, un pentagone dessiné au sol structure la chorégraphie selon deux zones distinctes, tandis que la création lumière de Jan Fedinger en transformera la perception, en structurant l’espace de manière abstraite, renforçant l’esthétique épurée de la scénographie. Cette même forme se retrouve également matérialisée en hauteur au-dessus du plateau, mais légèrement décalée, suggérant une connexion tridimensionnelle virtuelle.
Aina Alegre, de clair vêtue, cheveux tirés en arrière et natés, investit d’abord la périphérie de ce pentagone dans une ambiance spectrale, ponctuée de flashs lumineux. Elle joue des limites de ce marquage au sol avant que de s’élancer à la conquête de l’espace intérieur. Ses claquements de doigts et frappes de pieds, amplifiés, réverbérés et spatialisés par le dispositif sonore de James Brandily, fusionnent alors avec la composition électro-acoustique très percussive, jouée en live par Josep Tutusaus. Comme le souligne la chorégraphe, R-A-U-X-A est ainsi conçue « comme un trio entre la danse, le son et la lumière ».
Une expérience synesthésique.
La chorégraphie se déploie comme une série de métamorphoses physiques intenses. Le langage gestuel est marqué par une grande physicalité : des mouvements répétitifs dont certains peuvent évoquer des pas de danses traditionnelles, des gestes du travail, et d’autres plus archaïques comme frapper le sol des mains – une exploration du martèlement chère à la chorégraphe et qu’elle approfondit par sa recherche quasi anthropologique menée dans sa série des ÉTUDES (lire article sur Étude 7).
Bien que créée en 2020, R-A-U-X-A conserve toute sa force et préfigure déjà la singularité du vocabulaire d’Aina Alegre, constituant une excellente introduction à son univers et aux pièces qui suivent.
Bien au-delà d’un simple solo, R-A-U-X-A s’impose comme une expérience sensorielle totale. La chorégraphe y déploie une physicalité brute et captivante, orchestrant une puissante relation entre sa danse, la lumière sculpturale et l’univers sonore. Fidèle à l’impétuosité de son titre catalan, elle offre une transe moderne, un rituel futuriste où geste, son et lumière invitent à une immersion synesthésique intense.
R-A-U-X-A d’Aina Alegre, vu à Chaillot le 24 mai.
Conception, chorégraphie & interprétation : Aina Alegre.
Musique live : Josep Tutusaus
Lumières : Jan Fedinger
Conception : James Brandily
Visiter le site de Aina Alegre / CCN Grenoble.
Lire aussi This is not (an act of love & resistance).