Monument 0.10 : The Living Monument est une création chorégraphique d’Eszter Salamon, réalisée en collaboration avec la compagnie de danse contemporaine norvégienne Carte Blanche dirigée par Annabelle Bonnéry.
Durant deux heures, les 15 danseurs et danseuses de la compagnie Carte Blanche nous convient à une expérience visuelle et perceptive tout à fait inhabituelle. Ils et elles donnent vie à une succession de tableaux construits tels de grands monochromes de couleur, parsemés de créatures étranges aux visages masqués, aux corps souvent déformés, aux attitudes contraintes, se mouvant avec une grande lenteur.
Color is beautiful.

Au début du spectacle, c’est le noir qui domine. Émergeant de ce noir d’encre, des créatures étranges vêtues de cuirs sombres se déplacent avec une extrême lenteur dans un paysage abyssal ou d’apocalypse. Les visages sont invisibles et le resteront jusqu’au final qu’on ne dévoilera pas ici, cachés par des chevelures tombantes ou masqués par quelques accessoires : masques, tissus, voilettes, etc.
Certains corps à la peau partiellement découverte captent plus intensément la lumière créée par Silje Grimstad. Un jeu de lumière essentiel aussi pour accentuer les transitions entre les différents tableaux monochromes et le passage d’une couleur à l’autre. La composition musicale joue également un rôle crucial dans l’atmosphère de la pièce (bruits sourds, voix lointaines, plages synthétiques), soutenant les lents mouvements des interprètes. La scénographie s’appuie sur de grandes tentures colorées, disposées au sol ou en hauteur, qui sont escamotées et remplacées à chaque tableau.
Des costumes d’apparats faits de bric et de broc.
Les costumes sont constitués d’éléments puisés dans les réserves de la compagnie, « collectionnés depuis 25 ans et accessibles pour la première fois » révèle Eszter Salamon dans la feuille de salle. L’assemblage de vêtements et d’objets décuple le caractère hybride, fantastique et fragile de ces personnages qui surgissent de nulle part. Et ce sont la couleur et la lumière qui unifient et donnent sa cohérence à chacun des tableaux.
Au premier monochrome noir succède ainsi un bleu, puis un orange, un rouge, un or, etc., soit une dizaine de tableaux. Là des hommes boîtes ; ici une nageuse-sirène ; ailleurs des chevaliers sans montures ; des chanteuses polyphoniques ; des poupées japonaises ; des êtres vêtus d’or, etc. Jusqu’au dernier tableau où les 15 interprètes se retrouvent regroupés au centre du plateau en un monochrome blanc immaculé dont on perçoit toute la richesse et la finesse des détails comme ceux d’une dentelle.
Cette pièce s’inscrit dans une série plus vaste entreprise par la chorégraphe et performeuse hongroise, celle des Monuments, qui explore les thèmes de la mémoire et de l’histoire. Mais contrairement à ces Monuments précédents qui s’intéressaient aux phénomènes historiques ou aux histoires oubliées, Monument 0.10 : The Living Monument, explore ici les imaginaires, autant individuels que collectifs, entre souvenirs archaiques et visions futuristes. Ce qui en fait aussi une œuvre en évolution constante, un Monument vivant, et un spectacle tout à fait fascinant par sa richesse plastique et ses êtres hybrides plongés dans des mondes aux atmosphères monochromatiques envoutantes.
Monument 0.10 : The living Monument d’Eszter Salamon, vu le 28/03 au Théâtre de la Ville en partenariat avec Chaillot.
Conception, chorégraphie, costumes : Eszter Salamon.
Interprètes : Ole Martin Meland, Aslak Aune Nygård, Adrian Bartczak, Dawid Lorenc, Ihsaan de Banya, Brecht Bovijn, Mathias Stoltenberg, Gaspard Schmitt, Irene Vesterhus Theisen, Nadege Kubwayo, Mai Lisa Guinoo, Noam Eidelman Shatil, Iris Auguste, Aleksandra Korniejenko, Olha Mykolayivna Stetsyuk.
Scénographie : James Brandily.
Composition musicale : Carmen Villain.
Son : Leif Herland.
Lumières : Silje Grimstad.
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