Monga de Jéssica Teixeira était présenté à l’Atelier de Paris – CDCN dans le cadre du festival June Events et de la saison France – Brésil 2025. Jéssica Teixeira est une comédienne, metteuse en scène et dramaturge brésilienne. Monga est sa deuxième création présentée pour la première fois à Paris après une première escale à Metz.
Julia Pastrana, la « femme-singe ».
Avec Monga, Jéssica Teixeira s’empare de la figure historique de Julia Pastrana, artiste mexicaine née en 1834, chanteuse et danseuse, souffrant d’une hypertrichose, maladie produisant une hyper pilosité sur tout le corps, visage compris. Surnommée la femme-singe, elle fut exhibée sur différentes scènes jusqu’en Europe, de son vivant et après son décès, le corps embaumé, jusque dans les années 1960.
Jéssica Teixeira, en présentant sur scène sans artifice son propre « corps étrange aux courbes sinueuses » comme elle le dit, renverse la situation de soumission qui était celle de Julia Pastrana à l’égard du promoteur qui l’avait engagée et des spectateurs qui venaient la voir comme un phénomène de foire. Elle choisit de se montrer / exhiber son corps nu tel qu’il est dans sa différence (et « son manque »), faisant ainsi de la scène un espace de réparation symbolique et de questionnement sur la norme, l’altérité, le voyeurisme du spectateur.
Du freak show au cabaret contemporain.

Lorsqu’elle entre sur le plateau, Jéssica Teixeira se présente entièrement nue, le visage couvert d’un masque de singe. Elle est Julia Pastrana à ce moment, elle nous en rappelle l’histoire et celle des freak shows du XIXᵉ siècle. Retirant son masque, elle est Jéssica Teixeira, affirmant sa présence sur cette scène contemporaine dont elle énumère les partenaires qui l’accompagnent et l’ensemble des éléments, comme on ferait un état des lieux, qui en constitue la riche scénographie.
Car si Monga est présenté comme un solo, ce n’est pourtant pas un « seul en scène ». Dans un dispositif triparti du public, une traductrice, à l’engagement physique étonnant, signe en LSF le texte très écrit de la comédienne (texte qu’on peut se procurer à la sortie du spectacle), également projeté en fond de scène ; un guitariste et un percussionniste accompagnent sur un mode punk rock plusieurs morceaux chantés par Jéssica Teixeira ; une camerawoman filme divers moments dont les images sont diffusées sur deux écrans latéraux.
Retourner le regard.
Jéssica Teixeira inscrit son corps et le met en scène dans ce dispositif scénographique précis qui en multiplie les images. Elle s’adresse au public, chante, danse, et renverse ainsi la relation de domination avec le spectateur. Elle n’est plus victime, mais devient actrice agissante. Sur scène, dit-elle, « je crée un espace sûr, fertile, sensible, où cette étrangeté, au lieu de m’être projetée, est renvoyée à celles et ceux qui me regardent. »
Performeuse hors pair, elle évolue dans cet espace scénique restreint et sait jouer de la proximité avec le public, le questionnant non sans une certaine malice, le renvoyant à ses impensés, ou lui prenant les mains avec empathie, proposant un verre de cachaça distribuée avec générosité.
L’invitant à partager une dernière danse avec elle, des bruits sourds se font entendre à la périphérie du plateau, une légère inquiétude se lit sur les visages. Puis c’est le noir complet. Lorsque la lumière inonde à nouveau la salle, la scène est vide et le restera malgré les applaudissements.
Monga qui a donné le titre à la pièce est le nom d’une attraction classique dans les cirques traditionnels du nord-est du Brésil dans laquelle une femme se transformait, par un jeu d’illusions, en gorille terrifiant faisant fuir le public. Ici, la performance de Jéssica Teixeira utilise l’artifice de la scène pour opérer le chemin inverse : redonner son humanité à la « femme-singe » et renvoyer au public le reflet de sa propre monstruosité. En orchestrant sa disparition finale et en nous refusant les applaudissements, elle nous laisse face à un vertige : celui d’un spectacle qui ne cherche pas à plaire, mais à imprimer durablement sa marque, comme un manifeste politique et éminemment poétique.
Monga de Jéssica Teixeira, vu le 10 juin à l’Atelier de Paris dans le cadre du festival June Events.
Direction, dramaturgie et performance : Jéssica Teixeira.
Directeur artistique : Chico Henrique.
Direction musicale et musique : Luma, Juliano Mendes.