Mellowing de Christos Papadopoulos

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Mellowing de Christos Papadopoulos offre à la compagnie Dance On et à ses danseurs et danseuses de plus de 40 ans une création impeccable.

Dance On Ensemble est une compagnie berlinoise fondée en 2015, formée de danseurs et danseuses de plus de 40 ans. Elle passe commande auprès de chorégraphes afin d’offrir un accès à la scène à ses membres dans un contexte dans lequel les propositions après 40 ans peuvent se faire plus rares. Après les chorégraphes Meg Stuart, Lucinda Childs, Jan Martens, Daniel Linehan et quelques autres, c’est au tour de Christos Papadopoulos d’ajouter un nouvel opus au répertoire de cette compagnie.

Mellowing de Christos Papadopoulos débute comme une douce mise en marche.

Inhabituel pour le chorégraphe, c’est en marchant qu’une première danseuse entre sur le plateau. Scrutant l’espace autour d’elle, puis les spectateurs, elle semble presque surprise de se trouver en ce lieu. Une danseuse de plus de 40 ans peut-elle encore se trouver sur un plateau de danse sans que cela soit surprenant ni pour elle ni pour le public ? Une deuxième danseuse la rejoint, puis une troisième. Les deux premières se rapprochent, s’échangent quelques mots à l’oreille tout en regardant le public.

L’une d’entre elle remarque un objet au sol, le ramasse. Lorsqu’elle le colle à son oreille, comme on le ferait d’un coquillage ramassé sur un bord de mer, on entend quelques notes de musique. Elle écarte l’objet, le son cesse ; le met à nouveau à l’oreille, et le son se fait entendre. Elle fait mine alors de fixer définitivement l’objet comme on le ferait d’un petit écouteur ou peut-être ici d’une prothèse auditive, comme une manière très subtile et non sans humour de rappeler l’âge des interprètes de la compagnie.

Mellowing de Chrisros Papadopoulos
Danse On Ensemble – Mellowing © Jubal Battisti

C’est donc sur le tempo donné par une mélodie de quelques notes que les trois danseuses entament de petites marches, comme un léger piétinement avec ce léger déhanché du bassin, les bras ballants le long du corps si caractéristiques du vocabulaire de Christos Papadopopulos. Elles sont peu à peu rejointes par l’ensemble des danseurs et danseuses. 11 au total se déplacent ainsi à petits pas comme pour un temps de présentation, d’exposition. Aussi, le public a tout loisir d’observer ces corps dans le détail, les marques de l’âge dans les postures ou le port de tête. Les interprètes de leur côté ne quittent jamais le public des yeux comme dans toutes les pièces du chorégraphe.

Vêtu·es de costumes neutres dans un camaïeu gris/vert, ils et elles investissent lentement et progressivement tout l’espace du plateau, toujours face public, dans des trajectoires encore individuelles. Puis se regroupent imperceptiblement au centre de la scène. Le collectif se met en place. Les corps se synchronisent. De multiples variations de déplacements et de directions, discrètement tout d’abord, puis avec de plus en plus d’ampleur, s’affirment dans des unissons où les corps gardent toutes leurs singularités. Les mouvements d’épaules et les balancements des bras s’amplifient alors que les visages restent imperturbables. L’ensemble des interprètes, tel un champ de blé bercé par le vent ou des algues soumises aux courants marins (on sait le chorégraphe sensible aux phénomènes de la nature), se contracte et s’étire dans de larges déplacements qui s’accélèrent, tenu par une énergie commune jusqu’à son climax hypnotique.

Musique et lumières au service du caractère hypnotique de Mellowing.

La création musicale minimaliste et électronique de Corti K est ici encore parfaitement synchrone avec les différentes phases de la chorégraphie. Débutant par quelques notes, comme une mélodie enfantine jouée au glockenspiel, la composition installe peu à peu variations rythmiques et instrumentales, à la croisée du minimalisme américain et de Kraftwerk, et porte le développement chorégraphique à son point culminant.

La lumière créée par Eliza Alexandropoulou n’est pas en reste. Tout d’abord relativement neutre et froide, elle accompagne notamment le crescendo final par des rasants en façade qui projettent les ombres portées et démesurées des interprètes sur le fond de scène, décuplant le caractère hypnotique de la pièce.

Si le sens immédiat de « mellowing » est celui de « douceur », « d’adoucissement », le sens du titre de cette création est aussi celui de « maturation ». De celle de ces danseuses et danseurs de plus de 40 ans, aux carrières bien remplies et qui montrent, s’il en était, qu’ils sont, avec leurs singularités corporelles, toujours d’excellents interprètes.

Mellowing de Christos Papadopoulos vu le 21 mars dans le cadre du festival Séquence Danse au 104-Paris.
Le festival se poursuit jusqu’au 7 avril.

Chorégraphie : Christos Papadopoulos.
Musique : Coti K
Interprètes : Ty Boomershine, Javier Arozena, Alba Barral Fernández, Anna Herrmann, Emma Lewis, Gesine Moog, Miki Orihara, Tim Persent, Jone San Martin, Marco Volta, Lia Witjes Poole.

Visiter le site de Dance On Ensemble.

Lire nos articles sur les précédentes création de Christos Papadopoulos : Elvedon, Mycelium, Larsen C