Larsen de Rémi Esterle

Larsen de Rémi Esterle est une installation sonore et chorégraphique programmée dans le cadre du festival Signes de Printemps 2025 qui se tient au regard du Cygne jusqu’au quatre avril. S’il fallait décrire Larsen plus précisément, on pourrait dire qu’il s’agit d’une création pour une danseuse, un magnétophone à bande, un micro, un dictaphone et un métronome.

Rémi Esterle, danseur de tango et chorégraphe, ne nous est pas tout à fait inconnu. Nous avions découvert sa pièce HUG au dernier festival Bien fait qui se tenait à Micadanses en septembre 2024. Un duo d’interprètes enlacés l’un à l’autre dansait le tango sur un tapis roulant sans fin. À proximité, on découvrait une installation constituée d’un magnétophone Revox qui déroulaient sa bande dans l’espace. À la boucle sans fin du tapis roulant sur lequel évoluait le couple, faisait écho cette bande magnétique bouclée sur elle-même.

Rémi Esterle montre un certain goût pour le matériel analogique. Il a aussi de la suite dans les idées et c’est tant mieux, car de sa pièce précédente, il a gardé le projet d’une installation qui utilise à nouveau ce matériel vintage, soit un magnétophone dont la bande magnétique défile d’un point à un autre et à partir de laquelle se fabrique une matière sonore.

Larsen de Rémi Esterle : une installation sonore à laquelle la chorégraphie vient se frotter.

Sur le plateau, un Revox à bande, et deux pieds dont l’un muni d’un micro. Reliant ces 3 points, une bande magnétique délimite un espace triangulaire dans lequel évolue la danseuse Mélisande Tonolo, vue quelques jours plus tôt dans Close Up de Noé Soulier. Elle est en quelque sorte la ‘chef d’orchestre’ ou plus exactement la ‘metteuse en son’ de ce dispositif sonore dont elle actionne les différents éléments selon un protocole et un parcours bien précis, reconduit à plusieurs reprises (encore une histoire de boucles), mais en y introduisant à chaque fois des variations.

« Vous m’entendez, vous me voyez ? »

La danseuse met en marche le Revox. Sur cette bande magnétique longue de plusieurs mètres qui se met à défiler, elle va successivement enregistrer, par le biais d’un dictaphone et du microphone, différentes considérations, plus ou moins techniques, sur le procédé mis en œuvre dans l’installation. Se superposant par effet d’accumulation et de rétroaction, les pistes sonores se dégradent, devenant de moins en moins compréhensibles. C’est le fameux effet larsen qui donne le titre à la pièce.

Le tic d’un métronome posé au sol donne un tempo lent. La danse, tout en retenue, joue de l’analogie avec le défilement de la bande magnétique, effleurement du corps du bout du doigt, glissé du pied sur le sol, comme une exploration possible de sa propre matière sonore, convoquant un imaginaire tactile. Mélisande Tonolo vient tout d’abord délicatement au contact de la bande magnétique qui se dévide selon un rythme immuable, la frôle des doigts, y dépose le visage. Intervenant encore plus directement de la main et du corps, elle en ralentit le défilement, entrainant une dégradation de la matière sonore enregistrée. Enfin, elle s’en empare jusqu’à la rupture fatale.

  • Larsen de Rémi Esterle avec Mélisande Tonolo

Comme le confirmera Rémi Esterle durant le bord de plateau qui suivit la représentation, les références du chorégraphe pour construire cette création sonore sont à chercher du côté du GRM de Pierre Schaeffer ou d’artistes comme Alvin Lucier dont la création sonore I’m Sitting in the Room procédait justement d’accumulations successives : une série de réenregistrements d’un même texte dégradait peu à peu, par un effet de feedback, le message qui devenait alors de moins en moins intelligible. Dans Larsen, Remi Esterle y ajoute la danse : la chorégraphie est alors au cœur du dispositif sonore, de sa mise en route à sa dégradation programmée. À l’intérieur de l’environnement low tech imposé par le chorégraphe, Mélisande Tonolo dessine le chemin d’une performance singulièrement poétique et sensible.

Si la création d’une durée d’une trentaine de minutes a été pensée pour le plateau, elle devrait pouvoir s’inviter également dans des lieux ouverts sur les créations et les installations sonores contemporaines comme les galeries ou les lieux d’art. C’est ce qu’on souhaite à Rémi Esterle et à Mélisande Tonolo.

Larsen de Remi Esterle, vu le 15 mars 2025 au Regard du Cygne, festival Signes de Printemps.
Chorégraphie : Rémi Esterle.
Interprétation : Mélisande Tonolo.
Regard extérieur :Rebecca Journo.
Création lumière : Flore Dupont.

Toutes photos @ filipf.o.t.o / avoiretadanser