Kill me de Marina Otero

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Kill me, dernière création de la chorégraphe argentine Marina Otero, a fait l’ouverture du festival Immersion danse à l’Onde Théâtre – Centre d’Art de Vélizy-Villacoublay. La pièce fait suite aux précédentes créations Fuck Me (2020) et Love Me (2022) et s’inscrit dans un projet plus large intitulé Recordar para vivir (Se rappeler pour vivre).

Une soirée d’ouverture qui expose le corps nu.

En première partie de soirée, on pouvait également découvrir Mes autres, un solo de Sylvie Pabiot. Point commun de ces deux pièces, la nudité de ses interprètes. Mais là où Sylvie Pabiot proposait, par un dispositif d’éclairage sophistiqué jouant du clair obscur et de cuts au noir, une nudité caravagesque présentant par le jeu des contrastes de lumière un corps modifié, tranformé, Kill Me de Marina Otero nous offrait une nudité franche et sans artifice de tous les interprètes.

Kill me de Marina Otero, une pièce entre confession et autofiction.

Kill me est le troisième volet d’un tryptique qui se présente comme un journal intime auto-fictionnel. Ici la pièce débute par un film tourné avec un simple téléphone et plante dans un réalisme cru le décor de l’évocation personnelle d’une crise existentielle de la chorégraphe. Elle y apparaît sous divers aspects, d’abord joyeuse puis effondrée en pleure dans son lit. En voix off, elle nous raconte une histoire d’amour avec un certain Pablo, un amant qu’elle décrit finalement comme manipulateur et dont elle fait difficilement le deuil. Elle évoque sa quête d’affection désespérée, le diagnostic de borderline qui lui tombe dessus à la quarantaine, le DSM (manuel américain de diagnostic des troubles psychiatriques), ses prises de traitements, etc.

Au cœur de cette auto-analyse poignante, une scène filmée de son enfance dans laquelle, après que son frère l’a visée avec un pistolet, elle s’écroule et fait le mort. Trauma de la petite enfance qui resurgit à l’âge adulte ? Toujours est-il qu’on la voit se déplacer munie d’un revolver à la main dans de nombreuses séquences et au-delà sur le plateau.

Ainsi dès le film achevé, cinq danseuses pénètrent sur le plateau et défilent en ligne entièrement nues, chaussées de seules bottines blanches, perruquées de roux et pistolet à la main. Télescopage troublant d’une générique à la James Bond (version féminine) et d’une scène de cabaret du Crazy Horse. Mais la vraie référence revendiquée par Marina Otéro sera celle de Sarah Connor, l’héroïne de la série des Terminator du cinéaste David Cameron, une femme qui lutte aussi pour sa survie (et celle de son fils) et qui se retrouvera internée en hôpital psychiatrique avant de s’en enfuir.

kill me de Marina Otero
Kill Me © by Marina Caputo

Si l’auto-fiction de Marina Otero fait l’ouverture de Kill Me et en est le fil conducteur, elle laisse pourtant la place aux autres interprètes dont la chorégraphe affirme, dans une séquence du film, les avoir choisis pour leur état borderline. Il/elles viennent tour à tour exposer leurs propres tourments, leurs états limites, leurs troubles bipolaires, non sans humour quelques fois.

Nijinski dont on sait qu’il sera interné à l’asile en 1919 pour y finir ses jours en 1950, est (ré)incarné par un petit bonhomme rondouillard, seul personnage masculin, interprété par Tomás Pozzi, qui se proclame Dieu Nijinski. Une chanteuse éprouve le deuil d’Edith Piaf pour Marcel Cerdan disparu dans un accident d’avion, quand une autre interprète hurle qu’elle ne comprend pas qu’Elton John n’ait pas su faire une chanson originale à la mort de Lady Di. Une danseuse à la vocation ratée en raison de ses troubles psychiques tyrannise son partenaire. Et l’on danse sur Psycho-killer, morceau des Talking Heads.

Bref, chacun.e expose ses failles et se faisant, il/elles font communauté. Des failles qui sont aussi leur force, leur permettant d’être au monde comme sur ce plateau. Objet hybride qui joue de la confession sans retenue, de témoignages bruts et sans filtres, d’une nudité sans artifice, Kill me fait se télescoper danse, théâtre, musique live, cabaret et vidéo dans une scénographie minimaliste où quelques objets (révolvers, gants de boxes et perruques) font office de fétiches symboliques.

Kill me de Marina Otero vu à l’Onde Théâtre le 5 novembre 2024.
Avec : Ana Cotoré, Josefina Gorostiza, Natalia López Godoy, Myriam Henne-Adda, Marina Otero et Tomás Pozzi. Musicienne au plateau : Myriam Henne-Adda.