Jefta Van Dinther, chorégraphe suédois, ne nous est pas totalement inconnu. Nous l’avions découvert l’hiver dernier dans une pièce créée pour le Ballet Cullberg sur la scène de Chaillot, Protagonist, qui nous avait laissés personnellement sur notre faim. Dans Dark Field Analysis nouvelle pièce présentée au Centre Pompidou c’est un duo, dans une scénographie minimaliste, qui nous est proposé. Et si l’on retrouve des éléments et des préoccupations identiques d’une pièce à l’autre, la forme ‘resserrée’ et moins narrative du propos de ce Dark Field Analysis nous a beaucoup plus séduit. Dans cette pièce, corps, lumières et bande son sculptent et concourent à produire un objet organique d’une grande plasticité, un vecteur puissant de sensations passant par une forme d’altération de nos perceptions.
A l’entrée du public dans la salle, les danseurs sont déjà présents sur le plateau, assis nus sur un grand rectangle de moquette bleue. Les spectateurs sont invités à s’asseoir sur les 4 côtés du dispositif. En hauteur, un néon blanc dessine comme une ligne faisant ainsi écho au rectangle disposé sur le sol et quelques spots diffusent une lumière neutre.
Dark Field Analysis débute par un dialogue entre les 2 danseurs à partir de souvenirs. La diction est lente, les silences marqués. Ils s’observent et se déplacent au niveau du sol en esquissant des mouvements de bras. Une bande son se fait entendre au loin avant d’envahir peu à peu l’espace alors que les gestes des danseurs toujours au sol se font plus marqués, le dialogue plus soutenu avant de se perdre derrière le chant puissant de l’un des deux protagonistes. La lumière change également : elle va baigner ce premier tableau d’un halo verdâtre. Une boucle de basse devient de plus en plus puissante et obsédante à laquelle s’ajoute des textures sonores qui en renforcent le caractère hypnotique. Après un instant plongé dans l’obscurité la plus totale, un deuxième tableau s’ouvre quant à lui dans une lumière crépusculaire où les interprètes vont développer une danse animale et d’une grande physicalité, dans une ambiance de plus en plus hallucinée et hypnotique pour le spectateur. Les corps se déplacent avec rapidité, se tordent comme si la vitesse d’exécution les déformait.
Jusqu’à un arrêt brutal : la lumière change tout à coup, les danseurs sont sur leurs pieds pour la première fois et l’on se demande si l’on vient de sortir tout à coup du sommeil ou d’une hallucination. Ils vont se déplacer lentement en direction du public dans une démarche un peu mécanique, qui redouble l’étrangeté de la scène. Sont-ils encore vraiment des humains ? La pièce se clôture sur ce moment où l’un des danseurs escalade son compagnon pour se mettre debout sur ses épaules. Du même coup, sa tête et ses bras disparaissent dans le noir au delà du rectangle que dessine le néon.
Le titre de la pièce, Dark Field Analysis, fait référence à la technique d’observation du sang au microscope en champ sombre. C’est à cette même observation, mais cette fois-ci à échelle humaine que nous convie le chorégraphe en tant que spectateur témoin de cette rencontre entre 2 êtres parlant, se mouvant dans une quasi pénombre. Et l’on ressort alors de cette performance avec l’impression d’avoir traversé un monde étrange, un paysage mental halluciné dont on gardera pour le moins quelques séquelles pendant plusieurs jours encore.
Dark Field Analysis de Jefta Van Dinthervu le 10/04/2018 au Centre Pompidou.