Out of Context – for Pina est une pièce du chorégraphe belge Alain Platel créée en 2009, soit la même année que la disparition de Pina Bausch dont Platel était un fervent admirateur. Présentée au CENTQUATRE-PARIS dans le cadre du Festival Séquence Danse c’est l’occasion de (re)découvrir une pièce qui est aussi un hommage à la célèbre chorégraphe allemande.
Sur l’immense plateau du 104, deux micros et deux enceintes sont plantés là, ainsi qu’une pile de couvertures de couleur rouge pliées en fond de scène. Un espace quasiment vide. Un temps long avant qu’une première interprète, Kaori Ito, descende des gradins et marche jusqu’à l’extrémité de la scène. Elle se défait des ses vêtements de ville, se retrouve en sous-vêtements, les plie soigneusement. Puis les échange contre une couverture – couverture de survie ? – qu’elle jette sur ses épaules. Les autres interprètes surgissent à tour de rôle de la salle et s’exécutent de la même manière. La pièce s’ouvre donc sur les corps presque nus des neuf interprètes qui se présentent ainsi sans fard et se refermera à terme sur leur rhabillage et leur sortie de scène. Fin de la parenthèse.
Entre ces deux moments, Out of Context – for Pina condense des émotions brutes, les sentiments humains les plus intenses. Voire les plus triviaux comme avec cette entame du spectacle : enveloppés pour quelques temps encore de leurs couvertures les neuf interprètes vont à la rencontre des uns et des autres, s’approchent, s’effleurent du bout des doigts, se reniflent, s’examinent la plante des pieds alors qu’une bande son diffuse des bruits de bovins ou autres animaux. Premier âge de l’humanité. Remonter le temps, retrouver et jouer de cet état archaïque pulsionnel. Cette première scène plante ainsi le décor.
Par la suite, de fil en aiguille, le plateau explose en mini scènettes qui se juxtaposent en solos, duos et groupe plus large, où l’absurde le dispute à l’extravagance, la grâce au trivial. Idiotie de la gestuelle, grimaces béates. Se défaire, se déprendre, (s’)abandonner, accepter le cru, le pulsionnel, le lâcher-prise, etc., telles sont les thématiques qui traversent Out of Context – for Pina d’Alain Platel.
Le vocabulaire gestuel de Platel emprunte beaucoup aux troubles de pathologies neuro-motrices. Il faut rappeler ici qu’avant de devenir le chorégraphe que l’on connaît, il fut éducateur auprès d’enfants souffrant de troubles moteurs. Dans La Tristeza Complice, une pièce de 1995, le vocabulaire s’inspirait déjà du syndrome de Gilles de la Tourette, un complexe de tics verbaux et physiques. Dans Out of Context – for Pina, les gestes « informes » restent près du corps, rapides et comme incontrôlés. Une autre scène emprunte au babillage, aux rictus et aux mouvements du petit enfant, comme lorsque les neuf interprètes se prélassent sur leurs couvertures comme des bambins.
En mettant ces interprètes à nu, au sens propre comme au figuré, Platel nous invite à renouer avec une certaine forme d’innocence primitive, à faire retour à un langage premier du corps, d’avant le langage articulé. C’est tout le sens de ce « hors contexte » à la fois drôle et surtout particulièrement touchant et émouvant, d’autant plus que ces interprètes sont ceux d’origine.
Out of Context – for Pina d’Alain Platel vu le 8 avril au festival Séquence danse au 104- Paris
Concept et mise en scène : Alain Platel
Dansé et créé par : Elie Tass, Emile Josse / Quan Bui Ngoc, Hyo Seung Ye, Kaori Ito, Mathieu Desseigne Ravel, Mélanie Lomoff, Romeu Runa, Rosalba Torres Guerrero, Ross McCormack
