Opera Ballet Vlaanderen à la Villette

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l’Opera Ballet Vlaanderen, une des plus grandes institutions d’opéra en Belgique, présentait à La Villette un programme de cinq pièces de danse contemporaine balayant trois générations de chorégraphes : Twelve Ton Rose de Trisha Brown, Piano Phase et Clapping Music d’Anne Teresa de Keersmaeker et Graciela Quintet et On Speed de Jan Martens. Autant de créations qui entretiennent un rapport étroit avec les partitions musicales qui les accompagnent, ce qui fait aussi tout l’intérêt de ce beau programme.

Twelve Ton Rose de Trisha Brown.

Twelve Ton Rose est une pièce de Trisha Brown créée en 1996 sur la musique dodécaphonique (twelve ton rows) d’Anton Webern. Douze danseurs et danseuses en costume rouge ou noir alternent des entrées et sorties de scène dans un flux incessant. On imagine un hors champ où la danse se poursuivrait. Les canons s’enchainent et se dissolvent aussi vite pour aller vers d’autres formes et contrepoints. Ainsi la danse se poursuit aussi sur les plages de silence entre les différentes partitions musicales ou bien s’arrête au milieu d’une composition. Fluidité des mouvements, extension des bras, sauts divers, rewind, tout le vocabulaire de Trisha Brown se déploie dans un incroyable condensé.

Musiques : Anton Webern, Cinq Mouvements pour Quatuor à Cordes, Op. 5 Quatre Pièces pour Violon et Piano, Op. 7 (Mouvements I, III, IV), Quatuor à Cordes, Op. 28.

Twelve Ton Rose, Trisha Brown © Opera Ballet Vlaanderen-Phile Deprez.

Piano Phase et Clapping Music d’Anne Teresa de Keersmaeker.

Piano Phase et Clapping Music sont deux pièces créées en 1982 faisant partie d’un ensemble plus vaste, Fase : Four Movements to the Music of Steve Reich. Aux deux pièces déjà citées s’ajoutent le duo Come Out et le solo Violin Phase qui ne sont pas repris par l’Opera Ballet Vlaanderen.

Dans les années 1960/70, Steve Reich met en œuvre un principe de composition musicale basé sur un processus de phasage et déphasage. Soit à partir d’un motif répété joué par un instrument, le décalage de ce même motif joué par un deuxième instrument au-dessus du premier. De ce déphasage nait alors peu à peu de nouvelles figures mélodiques et/ou rythmiques complexes. Ce principe de composition musical, Anne Teresa de Keersmaeker va le suivre à la lettre dans l’écriture de ces premières pièces.

Ainsi Piano Phase est un duo qui joue de ce décalage d’une phrase unique dansée à l’unisson que décale peu à peu l’une des danseuses. La scénographie, grâce à la projection sur le fond de scène des ombres portées des interpètes, donne à voir ce principe de composition à l’œuvre. Clapping Music (frappe de mains) use de ce même procédé de répétition et décalage d’une même séquence (avec pointes, demi pointes, bras tendus ou flexés) entre les deux danseuses qui se déplacent dans une diagonale d’avant en arrière, de cour à jardin.

Avec Piano phase, dansé ce soir par Jasmine Achtari et Madison Vomastek de l’Opera Ballet Vlaanderen, le public de la Grande Halle de la Villette a assisté à une pièce majeure du répertoire chorégraphique contemporain de la fin du XXᵉ siècle.

Musiques : Piano Phase et Clapping Music de Steve Reich.

Piano Phase, Anne Teresa De Keersmaeker © Opera Ballet Vlaanderen-Phile Deprez.

Graciela Quintet et On Speed de Jan Martens.

Le programme de l’Opera Ballet Vlaanderen s’est clôturé par deux pièces de Jan Martens, chorégraphe associé de l’institution. Graciela Quintet a été créé sur une composition de l’argentine Graciela Parakevaídis (1940-2017). Sur une partition instrumentale minimaliste jouant de motifs simples (quelques notes, un son), chaque danseur est associé à une ligne instrumentale. Les interprètes, usant d’une gestuelle tout aussi minimale, alternent surplaces, arrêts, reprises, grands déplacements sur le plateau nu. Ainsi la chorégraphie donne à avoir la structure de la composition avec ses répétitions et ses variations. Une chorégraphie qui n’est, par ailleurs, pas dépourvue d’humour jusque dans ses costumes de scène. Étonnamment, cela nous a fait penser à Parade (1917), sur la partition d’Eric Satie et les costumes de Picasso pour les Ballets russes.

Dansée une première fois dans des costumes qui mettent en avant une hypertrophie de certaines parties du corps, la même chorégraphie est reprise une seconde fois, mais dans des tenues plus larges et vaporeuses. Voit-on alors la même pièce ?

Pour finir, On Speed est un morceau de bravoure pour un unique danseur. À la différence de Graciela Quintet, le corps est ici débarrassé de tout artifice vestimentaire. David Ledger à demi-nu, vêtu d’une seule culotte en lamé doré, émerge à la croisée de sources lumineuses qui l’isolent totalement du noir complet du reste du plateau. Il s’astreint à suivre une partition de Stephen Montague jouée au clavecin à une vitesse vertigineuse. Le danseur, campé sur place sur ses deux jambes, agite les bras à une vitesse tout aussi impressionnante, comme dans une course folle pour ne pas perdre le tempo. Son corps tout entier semble en lutte contre la musique, produisant un effet visuel stromboscopique surprenant. On pense à quelque attraction de foire élevée à son plus haut niveau de qualité. On en sourit, mais c’est fascinant.

Musiques : Graciela Quintet, Graciela Parakevaídis et On Speed, Stephen Montague.

Graciela Quintet & On speed, Jan Martens © Opera Ballet Vlaanderen-Phile Deprez.

Voici un programme de l’Opera Ballet Vlaanderen tout à fait réussi avec une sélection de pièces proposant des manières toutes différentes de se confronter à une œuvre musicale et de la chorégraphier.

Opera Ballet Vlaanderen vu à La Villette le 24/04/25.