Avec I. ou le complexe du homard, la chorégraphe Catherine Dreyfus pose avec finesse son regard sur l’adolescence à l’ère du numérique.
Le complexe du homard, métaphore de l’adolescence.
Le complexe du homard est une métaphore qu’utilisait Francoise Dolto, psychanalyste des enfants, pour évoquer l’adolescence, cette période où le jeune « abandonne son ancienne carapace » pour une nouvelle qu’il se construit peu à peu et qui lui permettra d’entrer mieux armé dans le monde des adultes.
Catherine Dreyfus met en scène ce moment en configurant le plateau comme un théâtre habité par deux petits « homards » : la danseuse Federica Miani qu’on a vu danser avec Gassiel Gaube dans sa pièce Soirée d’études et le danseur Robin Fabre Elissalde. Un troisième personnage, Gianluca Girolami, vêtu comme un marin pêcheur de homard, à la fois narrateur et régisseur plateau, introduit avec la justesse et l’empathie nécessaires au sujet, une pièce qui s’adresse évidemment d’abord, mais pas uniquement, à un jeune public. Cet après midi-là, le Théâtre de l’Étoile du Nord qui programmait I. ou le complexe du homard dans le cadre de son festival Immersion Danse, accueillait plusieurs classes de collégiens qui furent réceptifs à la pièce.
Miroir tendu aux jeunes spectateurs, la pièce rend compte avec tendresse et subtilité de ce processus qui mène l’enfant encore fragile, abandonnant la protection de ses parents, au stade où le jeune adulte, au terme de sa mue définitive, quitte le plateau après avoir traversé de multiples métamorphoses et endossé sa coquille protectrice définitive. Mais à quel prix !
Virtuel et quête d’identité.
Passant du stade du miroir de sa chambre au miroir de son smartphone et des réseaux sociaux, l’adolescent cherche et y puise les modèles auxquels s’identifier. Il est aussi amené à faire l’expérience de l’altérité dans sa confrontation à cet autre virtuel.
Pour accompagner et rendre compte de ces différentes métamorphoses, la scénographie est construite comme un décor mobile constitué de structures modulaires verticales qui tour à tour font office de miroirs, puis deviennent placards de vêtements dans lequel Robin Fabre Elissalde et Federica Miani viennent puiser pour se parer de tenues diverses et se fabriquer de nouvelles identités. Puis se transforment en écrans de smartphone, ces écrans sur lesquels les applications numériques renvoient et démultiplient à l’infini, à travers des images colorées par des filtres photographiques, les mêmes manières de s’habiller, de se présenter et de danser.
Piste de danse virtuelle.
La chambre de l’adolescent devient alors une piste de danse virtuelle sur laquelle défilent dans un flot d’images continu des modèles auxquels s’identifier. Les deux interprètes, Federica Miani et Robin Fabre Elissalde explorent à merveille les différentes situations dans une hybridation de différentes danses. Les figures « contorsionnées » empruntées à la breakdance qu’il et elle prennent au début de la pièce, rendent compte assez finement de ce moment où le schéma corporel se modifie : le corps commence sa mue et de nouvelles sensations et perceptions de soi font leur apparition. Par la suite, la danse puise et s’hybride dans d’autres styles en relation avec les modèles vestimentaires adoptés par les interprètes tout au long de ce processus de développement qu’il et elle traversent.
Avec I. ou le complexe du homard, la chorégraphe Catherine Dreyfus interroge avec les moyens de la danse et du théâtre, dans une scénographie efficace, de quelle manière le numérique, les réseaux sociaux et le virtuel impactent les plus jeunes dans ce moment de développement particulièrement sensible qu’est l’adolescence. Un questionnement également tout à fait bien venu pour les parents, et pour tout adulte lui-même soumis aux injonctions que délivrent en permanence les réseaux sociaux que nous consultons chaque jour.
I. ou le complexe du homard de Catherine Dreyfus, vu au festival Immersion danse le 10/04/2025.
Interprétation : Robin Fabre Elissalde, Federica Miani, Gianluca Girolami.
Musique : François Caffenne.
Scénographie : Romain Lalire.
Visiter le site de la cie act2 / Catherine Dreyfus.
