Fun Times de Ruth Childs est la première création de groupe de la chorégraphe anglo-américaine, nièce de Lucinda Childs. Pièce improbable, un peu foutraque qui, à partir d’une exploration du rire, de la joie et de l’amusement, offre une heure et quart de spectacle dans lequel le chant, la danse et la comédie se croisent dans une esthétique proche de celle d’un cabaret loufoque.
Rouge sang, la couleur du rire.
Sur le plateau de l’Atelier de Paris, une rangée de projecteurs, disposés en hauteur, diffuse une lumière rouge. Deux portant / paravents, de cette même couleur, disposés de part et d’autres, font office de rideaux de scène et de coulisses. Cachés derrière, les cinq interprètes, dont la chorégraphe, en surgissent et y disparaissent régulièrement. La pièce est conçue comme une série de séquences, de tableaux plus ou moins courts explorant différentes situations où l’absurde semble le disputer à une certaine forme d’idiotie enfantine.
Collage de danses, de voix et de samples musicaux.
Dans le premier tableau, les cinq interprètes entrent un par un sur un beat minimaliste de boite à rythme ou de jeu vidéo antédiluvien comme le Pac-Man de notre enfance. Ils et elles dansent d’une gestuelle simple en suivant un parcours répété ad libitum, à quoi s’ajoute progressivement un chant polyphonique. Bien évidemment, la structure qui petit à petit s’est installée se défait, les places et les parcours des unes et des autres se modifient et le comique de répétition qui aurait pu épuiser la situation se voit balayée. La scène se termine par un arrêt brutal sur un sample d’orchestre symphonique grandiloquent avant de reprendre à nouveau ce petit motif musical de boite à rythme qui initie un nouveau tableau. Comme une manière d’indiquer au spectateur : « fin de la partie, on y retourne, mais autrement ». Chaque séquence, comme un petit théâtre, procède ainsi d’un point d’entrée et d’un point de sortie que le spectateur peut facilement identifier. La pièce est construite sur le registre de la répétition et de la coupure très nette. Voire un peu brutale comme dans cette séquence d’ouverture/fermeture du pseudo-rideau de scène sur un visage lors des premières notes d’airs connus, classiques ou pop. Fun Times de Ruth Childs convoque une esthétique du copier-coller qui parcourt toute la pièce et « parasite » tout à la fois la voix, la danse et la musique.
Fun Times de Ruth Childs, des temps pas si heureux.
Nos cinq interprètes explorent différentes facettes du rire et de l’amusement. D’une exploration entre amis, devant nous qui sommes spectateurs : rire en dansant, danser en chantant, chanter en s’amusant. Toutes les situations sont passées à la moulinette. C’est un peu comme si nous étions des ethnologues à observer chez ces cinq-là de quoi est fait le rire, mais aussi de quoi sont faites les larmes.
Comment passe-t-on de l’un à l’autre ? Un assez long tableau propose comme une observation physiognomonique des visages des interprètes passant d’un état à l’autre. Car ce qui retient l’intérêt de Ruth Childs, ce n’est finalement pas tant le seul rire pour lui-même, mais son articulation au tragique. Ce qu’elle mentionne dans la feuille de salle : « Je me suis (alors) intéressée au tragi-comique, qui est profondément lié à l’absurdité de la condition humaine. (…) et le tragi-comique permet de travailler sur la joie et le désespoir, en même temps, avec humour. »
Le rire dans Fun Times de Ruth Childs n’est pas celui d’une bonne blague qu’on se raconte entre amis, mais plutôt la condition même pour répondre à l’absurdité de la tragédie humaine. En cela, on pourrait y voir une certaine parenté avec les performances dadaïstes du siècle dernier.
Chorégraphie en collaboration avec les danseuses : Ruth Childs.
Danse/performance: Bryan Campbell, Ruth Childs, Karine Dahouindji, Cosima Grand, Ha Kyoon Larcher
Recherche et sonorisation : Stéphane Vecchione.
Conception lumineuse : Joana Oliveira.
Fun Times vu à l’Atelier de Paris – CDCN le 21 novembre 2024 dans le cadre de la Swiss Dance Week Paris du Centre culturel suisse.