Emmanuel Eggermont à fait l’ouverture de la 27ᵉ édition du festival danse Faits d’Hiver avec le solo About Love and Death, élégie pour Raimund Hoghe. Une entrée en matière tout à fait en correspondance avec la thématique au cœur de cette édition 2025 : mémoire et transmission du répertoire contemporain.
Emmanuel Eggermont a collaboré durant de nombreuses années comme danseur avec Raimund Hoghe, dramaturge allemand pour Pina Bausch et chorégraphe. About Love and Death, élégie pour Raimund Hoghe est un hommage rendu au chorégraphe disparu en 2021.
Emmanuel Eggermont en faune.

Comme avant-propos à la pièce, le temps de l’entrée du public en salle, quelques phrases sont projetées en fond de scène qui nous rappellent que toute chose est amenée à changer.
Emmanuel Eggermont pénètre sur le plateau blanc habillé de noir, tout en élégance. Il dispose deux verres remplis de sable blanc sur une même ligne. Il s’allonge entre ces deux points. Reste immobile longuement. Il pose ensuite le talon du pied droit sur la pointe de son pied gauche. Ses bras glissent sur le sol comme s’il battait des ailes très lentement. La main droite vient faire un angle avec le bras, comme la main du faune. Le corps se redresse tout en dessinant son contour sur le sol. Impossible de ne pas voir dans cette figure une référence à l‘Après-midi d’un faune chorégraphié par Vaslav Nijinski en 1912. Justement chorégraphié par Raimund Hoghe en 2008 pour le jeune danseur Emmanuel Eggermont.
Héritage et réinvention.
Mais en vérité, que savons-nous du faune de Raimund Hoghe ? Nous devons avouer humblement n’avoir vu que peu de créations du chorégraphe de son vivant. Aussi, les références convoquées peuvent échapper au béotien peu au fait de plus d’une trentaine de créations depuis 1989. Mais peu importe, car l’essentiel de About Love and Death se situe ici dans ce travail de réappropriation, à la croisée du geste du danseur Eggermont et de l’iconographie du chorégraphe Hoghe. Une réinvention qu’on suppose sans trahison.
En effet, Emmanuel Eggermont est le dépositaire de l’œuvre artistique de Raimund Hoghe. Il se refuse à reprendre les pièces dans leurs formes originales en l’absence du disparu, car le petit homme bossu qu’était Hoghe partageait dans ses créations la scène avec ses interprètes. Celui-ci dorénavant absent, Emmanuel Eggermont a choisi de puiser dans le répertoire du chorégraphe pour créer About Love and Death. Des fragments revisités et réinterprétés constituent alors comme une collection de vignettes ou d’instantanés chorégraphiques.
Si l’esprit de Raimund Hoghe reste présent dans About Love and Death, la réinvention d’Eggermont n’en est pas absente. Car que dire de ce Singin’ in the Rain chanté par Gene Kelly qu’il danse à la manière espiègle d’un Buster Keaton ? Raimund Hoghe ou pas ? Eggermont brouille ainsi les pistes, et use de chausse-trappe, comme lorsque le rythme caractéristique d’un boléro débouche sur What Now My Love, version anglo-saxonne d’une chanson de Gilbert Bécaud alors qu’on attendait Ravel.
Les créations passées de Hoghe sont reconvoquées au travers d’objets (comme ses chaussures abandonnées au bord du plateau) et d’un large éventail de chansons, fétiches qui font sens pour qui connaît son œuvre. Mais Eggermont y insuffle aussi toute son inventivité pour faire vivre non pas le répertoire en tant que tel mais son esprit, renonce à l’exhaustivité pour le fragment dans une interprétation tirée à quatre épingles, aux mains tournoyantes avec grâce lorsque le corps lui, toujours straight, préfère la ligne et l’angle droit.
Toute chose est amenée à changer, à se transformer et devenir autre. About love and Death n’est pas une pièce de Raimund Hoghe mais insuffle l’esprit du chorégraphe dans le solo d’Emmanuel Eggermont qui, pétri d’une certaine mélancolie, est aussi un hommage, un message d’amour à toutes et tous ces disparu.e.s qui y sont convoqué.es.
Emmanuel Eggermont, About Love and Death vu le 21/01/2025 au Théâtre de la Cité internationale dans le cadre du festival Faits d’hiver.