3 against 2 : Psycho Tropics

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3 against 2 : Psycho Tropics est une proposition chorégraphique signée par le duo brésilo-argentin Marcela Levi et Lucía Russo, programmée au Théâtre de la Viile dans le cadre de la saison France – Brésil. Portée par leur compagnie Improvável Produções, cette pièce se veut une exploration des influences éloignées géographiquement et dans le temps, une fiction dans laquelle se télescopent des univers aussi divers que la forêt tropicale, le voguing, Nijinski à travers la figure du Faune, Isis et les polyrythmies afro-brésiliennes.

Au cœur du projet des chorégraphes réside un intérêt pour la polyrythmie, non seulement comme structure musicale, mais aussi comme métaphore d’un monde dans lequel des voix et des corps différents peuvent coexister. La pièce convoque l’imaginaire de la forêt tropicale qui sert de toile de fond à une rencontre improbable : celle du Faune de Nijinski avec la gestuelle du voguing « Old Way », une danse née dans la communauté LGBT afro-américaine, elle-même puisant dans les représentations des figures égyptiennes.

On sait que Nijinski, pour son Après-midi d’un faune donné en 1912 sur la scène du Théâtre du Châtelet, s’inspira des figures de vases grecs et des frises antiques lors des visites qu’il fit au Musée du Louvre. Ce qui fait dire aux chorégraphes Marcela Levi et Lucía Russo que : « la pièce s’est construite comme une fabulation : une rencontre fictive entre le Faune et le voguing Old Wave. » (Propos rapportés dans la feuille de salle). Ce à quoi elles ajoutent comme autre source d’inspiration : Isis, déesse égyptienne, Oxumaré, divinité de la culture yoruba.

La rencontre du Faune de Nijinsky et du voguing sur le plateau.

3 against 2 Psycho Tropic
3 against 2 : Psycho Tropics © Renato Mangolin

Lorsque les spectateurs prennent place, l’un des interprètes (Martim Gueller) se tient de dos nu en fond de scène, vêtu d’un simple sur-pantalon laissant ainsi apparaître son postérieur. Une fois le public installé, un second interprète (Lucas Fonseca) surgit du public et se rue sur le plateau. Le premier de dos se retourne, ne cachant rien de son anatomie. Il rejoint un clavier sur lequel il va enchainer plusieurs extraits musicaux comme le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, la 5ᵉ de Beethoven, Prokofiev et d’autres compositeurs de musiques afro-brésiliennes qui nous sont inconnues. Entre chacun, il interprète de profile mouvements de bras entre voguing et figure égyptienne.

Sur le plateau, torse nu, string apparent, Lucas Fonseca alterne poses assises et déplacements, mixant gestuelle du Faune et voguing avec ses mouvements géométriques de bras tournoyants, déhanchés et chute obligée au sol. Il est rejoint au milieu de la pièce par un troisième interprète (Romec), également torse nu, portant autour du cou un motif décoratif de couleur or qui, là encore, semble faire référence à une figure égyptienne.

Éloge de la polyrythmie.

Enjambant les territoires/continents, les siècles, les mythologies et les cultures, prélevant ici et là des évocations formelles, Marcela Levi et Lucía Russo proposent un ré-assemblage, un remixage susceptible de produire une « pièce-archipel » selon l’expression d’Edouard Glissant, et d’ouvrir nos imaginaires en déjouant les hiérarchies culturelles.

Le titre même 3 against 2 est une référence explicite à la notion de polyrythmie dans laquelle trois temps égaux sont joués dans le même espace que deux temps. La superposition simultanée de ces deux structures rythmiques vise à créer une tension, un décalage et une éventuelle richesse rythmique ou, c’est selon, un certain inconfort d’écoute.

Ce traitement polyrythmique irrigue ainsi toute la pièce en privilégiant le téléscopage de plusieurs temporalités et cultures. Mais si on peut saluer l’audace de ses cross over et l’intention évidente des chorégraphes Marcela Levi et Lucía Russo de défaire les hiérarchies en tissant des références, comme entre le Faune et le voguing par exemple, la proposition chorégraphique nous a semblé rester assez limitée et n’offrir que peu de progression sur la durée de la performance. Sans doute cet imaginaire tropical, celui évoqué dans le titre, nous a-t-il fait défaut pour entrer de plain-pied dans la proposition.

3 against 2 : Psycho Tropics, vu le 28 mai au Théâtre de la Ville.

Conception et direction Marcela Levi et Lucia Russo.
Interprètes : Lucas Fonseca, Martim Gueller, Romec.

Pour en savoir plus on peut lire le long entretien des chorégraphes paru dans Ma Culture en avril dernier.