Avec Voice Noise, Jan Martens donne de la voix à treize compositrices.
Après Futur Proche en 2022, une pièce chorégraphiée pour un grand groupe de danseur.euses de l’Opera Ballet Vlaanderer, Jan Martens revient à Paris avec le festival d’automne, pour une pièce au format resserré. Six interprètes, dont quatre femmes et deux hommes, se partagent le plateau durant 1h30 de danse sur treize compositions de femmes, balayant un large éventail de genres musicaux.
Voice Noise, redonner voix aux compositrices.
C’est à la lecture de l’essai d’Anne Carson, The Gender of Sound, qui rappelle combien les femmes sont aussi invisibilisées dans le champ musical, que Jan Martens a choisi de ne travailler qu’à partir de compositions vocales et musicales des seules femmes. Après avoir effectué une large recherche, il a arrêté son choix sur 13 compositrices, parmi 350, qu’on entend ainsi tout au long de Voice Noise.
Sur la scène nue du Théâtre de la Ville, un grand carré noir légèrement surélevé sert de plateau de danse. Des enceintes pendent des cintres. Les interprètes déjà présents attendent que le dernier spectateur soit installé. Puis alignés au-devant de la scène comme le serait une chorale, danseuses et danseurs commencent à donner de la voix : souffles, cris, vocalises diverses introduisent la pièce, comme une manière de donner aussi à entendre autrement les voix, également celles des interprètes de la pièce, ici dans leurs plus simples « organicités ». Cet usage d’une voix « brute » (le bruit de la voix au sens littéral) reviendra plusieurs fois au cours du spectacle, particulièrement lors d’un court solo de Steven Michel qui vocalise tout en dansant, dans un esprit quasiment cartoonesque, comme un équivalent de la composition de Maja Ratkje présente dans la playlist de la pièce.
Donner de la voix et faire corps.
Chacun.e prend la parole avant de gagner le plateau central éclairé d’une lumière zénithale, les abords restant dans une relative pénombre. Les six interprètes y entrent, et en sortent, comme à volonté, comme s’il s’agissait d’un battle sauf qu’ici, nulle compétition, ni figure acrobatique à effectuer. Les danses sont au service de ces voix féminines dont beaucoup nous sont justement inconnues. Les six interprètes dansent en solo ou en petits groupes, c’est selon, mais rarement à l’unisson. Ils/elles se croisent, se retrouvent et se séparent sur cet espace resserré. Ou bien ils/elles sont assis.es à sa marge à regarder qui y danse. Selon les compositions musicales, la hauteur des enceintes tombant des cintres, plus ou moins hautes ou basses, varie.
La danse procède souvent par répétitions, accumulations et transformations de gestes. Les mouvements des corps épousent les vocalises d’une large variété de styles musicaux puisqu’on y entend du jazz, de la pop, de la musique indienne, de l’électro, du funk et même une version de Bella ciao sul femminicidio repris en chœur par l’ensemble des interprètes. Les dynamiques des compositions sont de fait aussi très différentes les unes des autres, et les interprètes semblent jouir d’une grande liberté dans des propositions de danse toujours très personnelles. Comme dans ce tableau final (qui paraît) improvisé sur la composition éthérée Sol Lucet du Trio Mediæval, où ils/elles se retrouvent à danser ensemble jusqu’à un fondu au noir. Cette liberté chorégraphique est proprement réjouissante à observer.
Voice Noise de Jan Martens est une pièce dans laquelle les six interprètes magnifient de leurs danses les treize compositrices qui en constituent la playlist. Mais elle paraît également proposer de nouvelles pistes in situ sur le plateau et ouvrir à des possibles. On attend donc déjà la prochaine pièce du chorégraphe flamand avec impatience.
Voice Noise de Jan Martens vu au Théâtre de la Ville le 19/11/24. À voir jusqu’au 23 novembre.
À noter le petit dépliant fort intéressant distribué à l’entrée de la salle avec la playlist et les paroles des chansons du spectacle et différents témoignages des compositrices, mais aussi des interprètes de la pièce.
Voice Noise : chorégraphie de Jan Martens.
Interprètes : Elisha Mercelina, Steven Michel, Courtney May Robertson, Mamadou Wagué, Loeka Willems, Sue-Yeon Youn, et /ou Adrien Touret, Zora Westbroek.