Shihya Peng avec Never Enough et Federica Miani avec Animals, nous ont livré les histoires intimes de leurs déracinements dans des premiers solos présentés au festival Immersion Danse.
Retour sur le festival Immersion Danse de l’Onde Théâtre qui s’est tenu du 11 au 21 novembre 2025.
Ce festival a la particularité de présenter lors de chacune de ses soirées un double programme : une petite forme accueillie en début de soirée dans une salle de belle taille, mais à la jauge modeste et en seconde partie les compagnies ‘vedettes’ à retrouver sur le grand plateau.
Immersion Danse présentait ainsi deux petites formes, deux solos, Never Enough de Shihya Peng en ouverture du festival et Animals de Federica Miani en clôture. À partir d’une thématique commune sur la problématique du déracinement, chacune des chorégraphes, dorénavent installées en France, évoquèrent le parcours qui les mena d’un pays à l’autre, sur un mode narratif pour Shihya Peng d’origine taïwanaise et dans une approche plus introspective pour Federica Miani venue quant à elle d’Italie. Des histoires de déracinement dont les corps, avec les histoires qu’ils portent, sont devenus les témoins.
Never Enough de Shihya Peng : accéder à la liberté.
Pour la première soirée du festival, Shihya Peng présentait son solo Never Enough, assistée d’Alexandre Bouvier au son et à la vidéo. Ensemble, ils ont conçu cette création qui se présente comme un voyage d’émancipation.
La chorégraphe a appris la danse à Taïwan, puis a quitté son pays pour s’établir en France après des études et la découverte de la danse contemporaine aux États-Unis. Avec Never Enough elle explore ce chemin parcouru qui l’a amenée à embrasser une autre culture, de son apprentissage de la danse chinoise et classique, où le corps est contraint, où « l’on ne rit jamais » (dit-elle au cours de son solo), à la danse contemporaine. La danseuse à depuis lors quelques collaborations de renom à son actif : Tânia Carvalho, François Chaignaud et Cécilia Bangoléa, les compagnies Shonen, Wang Ramirez et Jann Gallois. En 2024, elle fonde la compagnie Yadre avec Alexandre Bouvier, passé par le conservatoire de Paris, avec lequel elle collabore depuis 2020/21.
Pour illustrer son parcours, Shihya Peng utilise son corps et la danse. Elle se raconte également à haute voix. Pour la scénographie, Alexandre Bouvier a créé les séquences vidéos, pour certaines tournées à Taïwan même ou générées par IA, à teneurs narrative, documentaire ou plus abstraite qui permettent à la danseuse d’explorer les différentes facettes de son histoire personnelle (le rapport à sa mère, son apprentissage de la danse, les injonctions éducatives, etc.). Avec ces vidéos et images fixes projetées en fond de scène et la composition sonore qui mêle tout à la fois instrumentation asiatique et musique éléctronique, Shihya Peng joue de la confrontation entre deux cultures, l’une d’origine avec son ‘encadrement strict’ et celle d’adoption plus libérale, et des contradictions qui la traversent, ce qui fait sans aucun doute la richesse de sa danse qui peut alors conjuguer dans un même élan danse traditionnelle et danse contemporaine.
Never Enough de Shihya Peng vu le 11/11 à l’Onde Théâtre, festival Immersion Danse.
Conception Shihya Peng et Alexandre Bouvier.
Chorégraphie, interprétation Shihya Peng.
Création musicale et vidéo Alexandre Bouvier.
Développement du dispositif Alexandre Bouvier.
Lumières Guillaume Giraudo.
Costumes Chun-Yuan Li.
Animals de Federica Miani : une traversée introspective.
C’est à un tout autre parcours que nous a convié Federico Miani, dite ‘Mia’ avec son premier solo Animals présenté en dernière soirée du festival. Formée à la danse classique, contemporaine puis au hip-hop, elle quitte son Italie natale pour se former au breaking en venant à Paris. Depuis, on l’aura vue danser avec Cassiel Gaube dans Soirée d’études (une pièce qui déconstruisait les fondamentaux de la house danse) et plus récemment dans un tout autre genre, dans I. ou le complexe du homard de la chorégraphe Catherine Dreyfus. Elle est artiste complice du Théâtre de l’Onde (Vélizy-Villacoublay), pour lequel elle a porté un projet amateur J’ai oublié comment danser.
La traversée que livre Federica Miani est plus secrète que celle de Shihya Peng car moins narrative, épaisse d’un certain mystère. La danseuse se présente tout d’abord sur le plateau dans un silence complet, entamant une série de sauts sur place, pieds joints. Sans doute en faut-il des sauts avant de s’élancer dans un premier solo. Puis, elle se lance dans une danse qui emprunte au registre des danses traditionnelles (tradition réinventée de l’Italie ?) avec ses répétitions de pas, de courses et de déboulés en cercle, à quoi elle ajoute des percussions corporelles en se frappant la cuisse. Et ce vêtement qu’elle porte, gilet sans manches sur une longue robe aux motifs animaliers qui virevolte, pourrait appartenir à une tradition locale.
Mais abandonnant ces vêtements au fond du plateau, se dépouillant de cette origine-là, c’est à une plongée intime qu’elle nous convie alors, se connectant avec des forces obscures. Car après une danse virevoltante et inscrite dans la verticalité, la danse de Federica Miani devient plus proche du sol, terrienne, pieds et mains bien ancrés au sol, le corps retourné, contorsionné, comme à l’envers de nos repères habituels. Nul doute que sa pratique du break lui permet de creuser cette manière si singulière d’explorer cette part animale qu’elle dit avoir trouvée à travers le chamanisme et la découverte de son animal totem. Sous sa protection, elle peut enfin s’engager à nouveau vers une forme de réconciliation avec elle-même et les autres sous les auspices de la voix du père auquel elle s’adresse : « Père, je me suis trompé (…) ».
Dans ce solo, Féderica Miani utilise sa maîtrise du break pour développer une proposition chorégraphique introspective tout à fait singulière. Elle y dit, en creux, le déracinement qu’elle a vécu, et la conquête d’une nouvelle forme d’identité, le sentiment d’appartenance à plus grand que soi, qu’elle a enfin trouvé à travers le chamanisme et son animal totem protecteur. Animals de Féderica Miani serait-il aussi une invitation à trouver le nôtre ?
Animals de Federica Miani vu le 21/11 à l’Onde Théâtre, festival Immersion Danse.
Chorégraphie et interprétation Federica Miani ‘MIA’.
Création musicale Yvan Talbot ‘Doogoo D’.
Création lumière François Alapetite.
Régie lumière François Alapetite ou Téo Sagot.
