Dança Frágil de Renato Cruz

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Dança Frágil de Renato Cruz et la compagnie Hibrída : une exploration des corps à l’ère du numérique.

Initialement présentée en 2024 lors de Danse Élargie sous une forme ramassée d’à peine dix minutes, Dança Frágil de Renato Cruz nous revient dans une version étoffée de cinquante minutes. Cette version longue était à l’affiche du Carreau du Temple et s’apprête à être jouée aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. Notons que cette programmation prend également toute sa place dans le cadre de l’année France-Brésil.

Ensemble, mais séparemment.

Dança Frágil de Renato Cruz, compagnie Hibrída
Dança Frágil – Companhia Híbrida – Renato Cruz © Carol Pires

Dès l’ouverture, une musique au rythme marqué, caractérisée par une boucle sonore répétitive qui perdurera tout au long de la représentation et même après le départ des artistes, installe l’ambiance. Sur scène, cinq interprètes (quatre hommes et une femme) occupent cinq couloirs distincts. Naviguant entre le fond de scène et l’avant-scène au sein de ces travées parallèles, ils déploient à l’unisson une danse énergique, puisant son vocabulaire dans les danses urbaines telles que le hip-hop, le voguing et le waacking, avec des accents manifestes de gestuelles popularisées par les réseaux sociaux comme TikTok.

L’organisation spatiale de Dança Frágil est un élément clé : bien que la chorégraphie soit exécutée à l’unisson et que les allers-retours se répètent, le positionnement décalé des danseurs sur la largeur du plateau engendre une dynamique de variations visuelles constantes, sans altérer la séquence de mouvements elle-même. Les éclairages, passant d’un danseur à l’autre, contribuent également à rompre une éventuelle monotonie inhérente à ce dispositif scénique rigoureux.

Une monotonie contrebalancée par la pluralité des corps des interprètes, qu’il s’agisse de la couleur de peau des interprètes, du genre, des morphologies, des ‘qualités athlétiques’. Les costumes soulignent et jouent aussi cette mise en avant d’une certaine diversité esthétique, d’une présentation de soi influencée par les codes des réseaux sociaux.

Dança Frágil de Renato Cruz : une exploration des corps à l’ère numérique.

Progressivement, cette danse initialement en boucle semble s’éroder, se réduisant principalement à une succession de postures, certaines suggestives, voire lascives, où les interprètes mettent en avant ostensiblement des parties spécifiques de leur anatomie. La danse, si elle subsiste, se limite alors à ces « arrêts sur image » d’un corps fragmenté et fétichisé, où l’attention est dirigée sur des éléments isolés : fessiers, torses, musculature. Cette fétichisation d’un corps n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’important recours à la chirurgie esthétique au Brésil, mais là n’est sans doute pas le réel propos de Renato Cruz.

Au-delà, ce sont manifestement les poses stéréotypées, diffusées en masse sur les réseaux sociaux, qui sont ici mimées et reproduites. Les réactions enthousiastes d’un public, vraisemblablement familier de ces plateformes, paraissent d’ailleurs le confirmer. Bien que Renato Cruz semble vouloir interroger, voire critiquer, cette standardisation et uniformisation des corps et la réduction de la danse à sa dimension la plus superficielle – soulevant la question du devenir du danseur et de la substance artistique de son art –, il n’est pas certain que le public, qui se réjouit bruyamment de ces poses stéréotypées, soit pleinement réceptif à ce questionnement.

Corps contraints, soumis…

Abandonnant pour un temps les poses lascives, les cinq interprètes rejoignent le fond de scène. Les poses précédentes changent de nature. L’un se tient agenouillé, les mains sur la tête. Un autre, allongé face contre le sol, a les mains comme liées dans le dos, ou bien mains posées contre le mur, jambes écartées comme lors d’un contrôle policier. Mais ces poses dénoncent-elles les violences policières elles-mêmes (celles du Brésil, pays d’origine du chorégraphe ou d’ailleurs) ou leurs viralités sur les réseaux sociaux ? Est-ce que toutes les images se valent de la même manière ? L’ambiguïté de cette séquence interroge d’autant plus lorsque ces arrêts sur images de corps contraints et soumis retrouvent, par un glissement progressif de la gestuelle, une forme de lascivité et d’érotisation.

Critique sociale, manifeste politique ?

Le spectacle se conclut par une scène de danse de groupe. À l’opposé de la première partie de la pièce dans laquelle chaque interprète évoluait dans une danse à l’unisson, mais dans un espace propre restreint, le final les voit se regrouper pour danser ensemble avec leurs propres singularités, loin d’une danse stéréotypée qui les uniformisaient, à chercher la lumière des projecteurs pour sortir de l’invisibilité et mettre en valeur une possibilité de résilience. Éloge du collectif pour résister.

Mais à vouloir trop embrasser les problématiques, le chorégraphe n’évite pas l’ambivalence du propos, entre célébration d’une culture à l’ère du numérique et des réseaux sociaux et critique de son éventuelle superficialité et de l’uniformisation qu’elle peut engendrer.

Conception : Renato Cruz.
Chorégraphie : Renato Cruz, Aline Teixeira.
Interprètes : Yuri Braga, Fábio de Andrade, Jefte Francisco, Maju Freitas, Rayan Sarmento.

Dança Frágil de Renato Cruz, vu le 14 mai au Carreau du Temple.

Dança Frágil sera à l’Espace 1789 de Saint-Ouen le 15 mai en partenariat avec les Rencontres chorégraphiques internationales de Saint-Denis.