Bruitage, la dernière création de Rebecca Journo, danseuse et chorégraphe, était présenté à l’Atelier de Paris dans le cadre de la programmation des journées de Paris Réseau Danse du 8 au 11 octobre.
L’univers singulier du collectif La Pieuvre.
On a souvent dit dans ces pages combien Rebecca Journo et le collectif La Pieuvre, codirigé avec Véronique Lemonnier, déployait un univers tout à fait singulier au croisement de multiples références, allant de la photographie au cinéma. Ses créations accordent aussi une place fondamentale au son. Depuis plusieurs années, la majorité d’entre elles sont sonorisées live par Mathieu Bonnafous, présent sur ou à proximité du plateau comme on a encore pu le voir pour L’heure du Thé aux Théâtre des Abbesses. Il est la signature sonore des pièces de Rebecca Journo, mixant bruits, textures et plages sonores, accompagnant et prolongeant l’univers de la chorégraphe.
La petite mécanique de Rebecca Journo et Mathieu Bonnafous.
Dans Bruitage on le retrouve au milieu du plateau. Dans la pénombre, on le devine à peine, les mains plongées dans une boîte rétro-éclairée de l’intérieur dans laquelle sont entreposés divers objets et outils, un petit bric-à-brac, fait de divers papiers, paire de ciseau, moulinette, ballon de baudruche, poupée, qui lui permet de générer des sons qui, amplifiés, sont audibles pour le public.
Tout d’abord seul en scène, il est rejoint par la danseuse qui s’extrait de la pénombre du plateau, se place légèrement au-devant. Tout de blanc vêtue, le visage très pâle, du noir sur les lèvres et les paupières, elle pourrait sortir d’un film expressionniste des années 30 ou d’épouvante, les deux allants souvent de pair. Elle reste figée, les bras légèrement repliés.
Bruitage sonorise le corps-machine de Rebecca Journo.

L’effet coconut est bien connu au cinéma. C’est la technique utilisée par les bruiteurs pour amplifier l’effet sonore d’une scène comme le galop d’un cheval avec des noix de coco. La danseuse et chorégraphe Ioanna Paraskevopoulou s’y est essayée dans sa création MOS. Mais il s’agissait encore de sonoriser avec les moyens du bord des extraits de films dont la bande sonore était retranchée.
Ici, Rebecca Journo et Mathieu Bonnafous détournent le procédé. Ils mettent le bruitage au service de mouvements corporels. Dans un premier temps, Rebecca Journo concentre les seuls mouvements à son visage. Les yeux balaient l’espace d’un côté à l’autre. La langue sort brusquement de la bouche, la mâchoire inférieure se tord comme prête à se déboiter. Ces multiples expressions, ces mimiques, Mathieu Bonnafous les accompagne d’effets sonores chirurgicaux (bruits secs et autres grincements) qui en renforcent le caractère mécanique. Par la suite, c’est à tout le corps, avec ses mouvements de déplacement et de rotation, que sera appliqué ce même procédé de sonorisation.
Rebecca Journo devient ce corps-machine dont chaque mouvement a son équivalent sonore. La parfaite synchronisation des deux partitions, celle sonore et celle gestuelle, est tout simplement étonnante. Le spectacle est à la fois là, dans cette boite ouverte, offerte au regard du spectateur qui scrute les manipulations de Mathieu Bonnafous, et dans l’inquiétante présence de la danseuse qui se présente telle un automate.
En empruntant à l’esthétique du cinéma expressionniste et à une technique de doublage low-fi, magnifiant les textures sonores les plus infimes du quotidien, Rebecca Journo et Mathieu Bonnafous parviennent à créer une mécanique du corps fascinante. Telle une figure sortie d’un vieux film d’épouvante, La danseuse se transforme en un véritable Frankenstein sonore, dont chaque mouvement est à la fois décuplé et dénaturalisé par le bruitage.
La création Bruitage confirme ainsi et intensifie encore l’univers singulier de la chorégraphe. La synchronisation entre le geste chorégraphique et la création sonore live poursuit l’exploration d’un corps étrange, voire inquiétant, déjà à l’œuvre dans les précédentes créations de La Pieuvre.
Bruitage de Rebecca Journo vu le 10 octobre à l’Atelier de Paris.
Recherche, création et interprétation Rebecca Journo, Mathieu Bonnafous.
Conception et construction de la boite & création lumière Jules Bourret.
Création costume Coline Ploquin.
Site La Pieuvre
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