On Stage de Maria Hassabi : quand le corps fait image.
On Stage de Maria Hassabi est une performance de 2023 dont la première française a eu lieu au Théâtre national de la danse de Chaillot à l’invitation du festival d’Automne. Dans cette création, la chorégraphe chypriote se présente seule en scène et développe une danse caractérisée par une lenteur extrême, une presque immobilité et une précision corporelle minutieuse. On avait pu la découvrir en 2018 avec Staging : Solo #2, une précédente performance donnée dans le cadre du festival MOVE au Centre Pompidou.
Dans la salle Gémier du théâtre, le plateau habituellement au niveau du sol a laissé place à une scène haute. Une bande son diffuse une boucle dans laquelle on croit percevoir le souffle du vent. Maria Hassabi pénètre sur scène dans une obscurité totale et gagne le centre de l’avant-scène, le proscenium. À peine éclairée par une douche de lumière, elle se tient face au public, les deux mains dans les poches. Vêtue d’un jean et d’une chemise en denim bleu délavé, le corps quasiment immobile, la tête seule s’anime très lentement dans une légère rotation en extension arrière. L’une des mains semble s’enfoncer un peu plus au fond de la poche du jean. La pose initiale se modifie ainsi imperceptiblement.
On Stage de Maria Hassabi : l’apparition lente des images et leurs dissolutions.
Durant une heure, Maria Hassabi, au fil du temps et dans un flux de micro-mouvements continus extrêmement lents, va de pose en pose, traverser une succession d’images plus ou moins iconiques ou porteuses d’intensités affectives dans une scénographie minimaliste. Dans un face-à-face soutenu avec le public, les lentes variations lumineuses, laissant la quasi-totalité de la scène dans l’obscurité, sculptent juste ce qu’il faut, selon différents angles, la présence de la chorégraphe toujours placée à l’avant-scène. La bande sonore diffuse des boucles à base de sons d’ambiance, plus ou moins reconnaissables, quelques voix, le tout dans un fondu continu qui épouse parfaitement la lenteur du processus chorégraphique.
La lenteur comme outil critique.
Maria Hassabi ne nous racontent aucune histoire. Elle est une pure présence là-devant nous, une sculpture vivante qui invite le spectateur à projeter ses propres références, souvenirs et sentiments sur les représentations, reconnaissables ou pas, que propose la chorégraphe.

En cela, la proposition de Maria Hassabi est bien différente de celle de Myriam Gourfink, autre chorégraphe connue pour son exploration d’une forme de lenteur. Quant Gourfink se fonde sur un travail introspectif, déconnecté de références extérieures, hors tout cadre de représentation hormis celui de la partition écrite, Maria Hassabi use quant à elle des centaines d’images plurielles (sculptures issues du domaine de l’histoire de l’art, de la culture pop et du quotidien) dont elle s’est nourrie à partir de 2009 pour amorcer ce travail sur la lenteur.
On Stage peut-être vu comme un corpus concentré d’images emblématiques pour la chorégraphe comme pour le spectateur. Images partagées, parce qu’images diffusées, médiatisées, connues et reconnues de tous même dans leurs perceptions les plus subliminales. Cette incorporation des images s’accompagne d’un travail très détaillé de tout le corps, aussi du regard qui soutient sans faillir celui du spectateur et interroge ainsi en retour notre propre pulsion scopique.
Avec cet usage de l’immobilité et de la lenteur, On Stage de Maria Hassabi impose une forme de radicalité. Cette performance solitaire, concentrée sur le proscenium, intensifie la présence de la chorégraphe en dévoilant l’effort d’un corps pour fabriquer une image, et transforme l’acte de « poser » en un manifeste sur la présence. Elle offre surtout une critique incarnée de la saturation des images, obligeant le spectateur à décélérer son regard et à remettre éventuellement en question sa propre consommation des images.
On Stage de Maria Hassabi vu à Chaillot avec le festival d’Automne le 22 octobre, jusqu’au 24 octobre 2025.
Performance : Maria Hassabi.
Création sonore : Stavros Gasparatos, Maria Hassabi.
Création lumières : Aliki Danezi Knutsen.
Costume : Victoria Bartlett, Maria Hassabi.
Consulter le site de Maria Hassabi.
