Les nouvelles hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien

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Les nouvelles hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien de la cie Mossoux – Bonté : une création de 1990, revue et réactualisée présentée au Centre Wallonie Bruxelles dans le cadre du festival Faits d’hiver 2025.

Poursuivant son cheminement autour des questions de filiation, recréation, réécriture, réinterprétation, reprise du patrimoine contemporain, le festival danse Faits d’hiver rebat une nouvelle fois les cartes avec la programmation, au Centre Wallonie Bruxelles, de la pièce de la compagnie Mossoux – Bonté : Les nouvelles hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien. Il s’agit d’une recréation d’une pièce précédente dont la première eut lieu en janvier 1990 au Theater De Synagoge à Tilburg aux Pays-Bas sous le titre De ultieme gevoelens van Lucas Cranach de Oude et qui a tourné près de 25 ans en Europe.

Lucas Cranach en toile de fond.

Les nouvelles hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien s’inspire de l’univers du peintre de la Renaissance allemande Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553). Sans être une galerie de portraits du peintre, elle explore quelques-unes de ses figures dont certaines sont reconnaissables telles Adam et Eve, judith ou Salomé, la Vierge à l’enfant. Mais nul besoin d’être au fait de l’œuvre de Cranach pour apprécier la création du duo de chorégraphes. Il s’agit bien plus d’activer chez les spectateurs son imaginaire d’images enfouies grâce à une scénographie visuelle élaborée qui induit une forme de rêverie éveillée.

En fond de scène, un mur sculpté en trompe-l’œil, tel un immense retable contemporain plongé dans la pénombre, constitue le dispositif scénographique. Huit ouvertures de tailles variables y sont disposées à différentes hauteurs, jouant d’effets de perspectives. C’est derrière ces ouvertures laissées vacantes que les cinq interprètes vont se placer pour jouer de petites scènettes inspirées librement des peintures de Lucas Cranach avant de disparaître dans la pénombre. Car excepté ces fenêtres qui s’éclairent selon les besoins, l’ensemble beigne dans un noir complet.

Le mystère des images.

Les nouvelles hallucinations de Lucas Cranach l'Ancien cie Mossoux -Bonté
Les nouvelles hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien © Thibault Grégoire

Dans le premier tableau, le haut du buste d’un homme d’église richement vêtu s’encastre dans l’une d’elles. Il semble dialoguer avec un énorme poisson qui flotte à ses côtés. Dans un registre inférieur, une femme dont on ne voit que le haut du corps manie une épée. Plus loin, un second personnage féminin est entrevu par deux ouvertures. Dans l’un d’elles, on ne voit que ses mains qui tiennent un ouvrage ouvert sur ses genoux. Et dans une autre ouverture, au-dessus, s’incruste le visage, mais si éloigné que son corps nous apparaît démesurément étiré.

Ainsi, à tour de rôle, les ouvertures vont s’éclairer et se transformer en petit théâtre aux scènes énigmatiques, comme ce poisson flottant à hauteur d’homme et de femme, ou ces jambes, dont on ne voit pas les corps, qui marchent sans toucher le sol, donnant l’impression de flotter. À part une vénus couchée, les corps ne se donnent à voir que sous des apparitions fragmentées. Même Adam et Eve qui pourtant apparaissent dans leur entière nudité ne donnent pas à voir leurs visages. La juxtaposition et le collage de ces fragments de corps, sculptés dans le clair obscur, agissant comme des close-up, n’est pas sans produire une inquiétante étrangeté même si l’humour n’en est pas tout à fait absent, comme cette pomme qui passe de main en main d’Eve à Adam. Les rapports entre proche et lointain, petit et grand s’inversent et invitent à une perte de repères visuels, plongeant le spectateur dans un univers onirique et fragile.

Les nouvelles hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien, avec son petit théâtre des illusions, reconduit tout le mystère des images, dans ce moment entre chien et loup où les certitudes vacillent et où plus rien n’est assuré. En 1988, alors qu’ils sont en tournée à Londres, Nicole Mossoux et Patrick Bonté découvraient le portrait d’une petite princesse à la National Gallery. Troublés par l’ambiguïté du personnage qui émanait de ce tableau peint par Cranach, ils en firent un spectacle. Aujourd’hui encore, cette version réécrite et réarrangée 30 ans plus tard n’a pas pris une ride et garde tout son mystère et sa beauté onirique.

Les nouvelles hallucinations de Lucas Cranach l’Ancien vu au Centre Wallonie Bruxelles le 4 janvier 2025 dans le cadre du festival danse Faits d’hiver.
Conception Patrick Bonté.
Mise en scène et chorégraphie Patrick Bonté en collaboration avec Nicole Mossoux.
Interprétation Dorian Chavez, Colline Libon, Lenka Luptáková, Frauke Mariën et Eléonore Valère-Lachky.
Création sonore Thomas Turine d’après la musique originale de Christian Genet.
Scénographie Jean-Claude de Bemels.
Costumes Colette Huchard

Visiter le site de la Cie Mossoux – Bonté.