Dans Juste Camille, Gaëlle Bourges mène une nouvelle enquête.
Avec Juste Camille, Gaëlle Bourges nous entraine dans une enquête pour découvrir quelle est cette figure féminine représentée sur la face peinte d’un cassoni, un coffret de mariage datant du XIVᵉ siècle, conservée au Musée des Beaux-Arts de Tours. Gaëlle Bourges nous mène ainsi de l’Énéide de Virgile, récit dans lequel la figure de Camille est mentionnée comme une guerrière, jusqu’à celle d’une zadiste plus contemporaine.
Juste Camille une figure de résistance et de combativité !
Entre temps, il sera aussi question de l’histoire d’une petite fille à l’enfance sauvage (mais ne serait-elle pas aussi garçon avec ce prénom non genré porteur d’une forme de fluidité ?) apprenant à vivre dans la forêt, refusant le mariage, levant une armée pour combattre Énée, et morte trop jeune au combat ; Amazone, combattante, dont on a trop souvent colporté que ces femmes se coupaient le sein pour pouvoir tirer à l’arc.
Ainsi va Gaëlle Bourges, qui, selon une méthode bien établie, de fil en aiguille, nous raconte en voix off les multiples destinées de cette (Juste) Camille, chorégraphiées en tableaux vivants par les huit interprètes, issu·es de l’École nationale supérieure des Arts de la marionnette. Huit Camille potentielles pour donner corps à ce personnage de fiction, et dont la chorégraphe s’amuse à détricoter les symboles dans une lecture féministe.
Lorsque le rideau se lève ils et elles sont assis·es sur des seaux, vêtu·es de noir ou bonnet rouge sur la tête, dos au public. La bande son diffuse une musique immédiatement reconnaissable, celle de Georges Delerue compositeur de la BO du Mépris de Godard. Et si l’on se demande ce que vient faire cet extrait sonore dans le spectacle, c’est qu’il porte le titre de Camille, prénom de Brigitte Bardot, héroïne du film au côté de Michel Piccoli. Et lorsque le rideau se refermera, c’est sur ce même extrait sonore que Gaëlle Bourges, dans le plus pur style du cinéaste, fera la lecture du générique de sa propre pièce.
Une scénographie faite de peu.

Sur le plateau, les interprètes donnent vie aux différentes séquences narrées par Gaëlle Bourges et certain·es d’entre eux/elles en voix OFF, procédé habituel des pièces de la chorégraphe. Avec des moyens modestes, ils et elles illustrent les épisodes supposés de Camille. Les seaux se transforment en casque au moment de la bataille, puis figurent les remparts d’une citadelle. Les chevaux sont représentés par de simples têtes d’équidés découpés dans des panneaux de bois et fixés à des bâtons qui eux-mêmes, en d’autres occasions, peuvent figurer flèches ou lances. Le lit d’un fleuve est simplement marqué pas deux bandes de scotch collées au sol et les trompettes sont en carton.
Partant tout d’abord des petites peintures du coffret de mariage conservé au musée de Tours, passant par l’Éneide de Virgile, puis tirant le fil en direction des représentations et histoires des amazones, Gaëlle Bourges interroge, encore là, la fabrique des images (celle de la peinture et de la littérature) et les valeurs sous-jacentes qu’elles véhiculent. Mettant à jour le sens caché des histoires dominantes, elle réévalue ainsi les figures oubliées comme elle a pu le faire avec (La bande à) Laura sur l’Olympia de Manet. (Lire article).
En partant d’un fragment d’art mineur (le cassoni), Gaëlle Bourges déploie une enquête rhizomatique qui traverse les époques, de l’Énéide aux Amazones, à la mention zadiste contemporaine, sans oublier la référence cinéphile à Godard.
Par l’utilisation inventive d’une scénographie modeste, la pièce offre huit corps potentiels pour incarner cette figure de résistance féminine. Juste Camille s’inscrit encore une fois dans la démarche de Gaëlle Bourges : détricoter la fabrique des images telle que la diffuse l’histoire de l’art officielle et dominante pour en révéler les biais, et réhabiliter, par le mouvement dansé et la parole, les récits de femmes qui ont refusé de se laisser enfermer dans les rôles prescrits.
Juste Camille de Gaëlle Bourges vu le 5/11/2025 au Théâtre de la Ville (jusqu’au 7/11/2025).
Conception Gaëlle Bourges / ASSOCIATION Os
Assistante à la chorégraphie Agnès Butet
Récits Gaëlle Bourges et les interprètes
Extraits de L’Énéide, Virgile
Musique Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK
Musique additionnelle Georges Delerue
Lumières Morgane Viroli
Accessoires et costumes les interprètes avec Anne Dessertine, Corinne Blis et Angélique Planque
Avec Kahina Abderrahmani, Inès Dill–Camara, Raphaël Dupuy, Gwenaelle Guillebot de Nerville, Pedro Hermelin-Vélez, Camille Marcon, Mathilde Peinetti, Melody Shanty Mahe.
Une première version de Juste Camille a été créée en juin 2018.
Consulter également les articles Conjurer la peur et (La bande à) Laura de Gaëlle Bourges.
