Commençons par faire l’amour est la seconde création de Laura Bachman, après Ne me touchez pas (2023) un duo avec Marion Barbeau que l’on retrouve également dans cette pièce pour cinq interprètes, librement inspirée de la tétralogie romanesque de Jean-Philippe Toussaint : Faire l’amour, Fuir, La Vérité sur Marie, Nue.
Ancienne danseuse de l’Opéra de Paris, Laura Bachman a dansé pour Anne Teresa de Keersmaeker, Benjamin Millepied. On l’aura aussi vu danser dans Liberté Cathédrale de Boris Charmatz.
L’empreinte littéraire.
Il faut reconnaître à la danseuse et jeune chorégraphe une certaine constance depuis sa première création, celle d’ancrer sa danse au creux de la langue, du côté de l’écrit littéraire. Le titre de sa première création, Ne me Touchez pas, tirait son origine d’une citation tirée du Carnet d’or, un roman de l’autrice britannique Doris Lessing, « Ne me touchez pas, car j’ai peur de ressentir ». Avec Commençons par faire l’amour, Laura Bachman inscrit cette fois-ci sa pièce dans les pas d’un écrivain français de renom, Jean-Philippe Toussaint, auquel elle emprunte non seulement la moitié du titre, mais surtout le personnage de Marie qui traverse l’ensemble du cycle romanesque de l’auteur (Faire l’amour, Fuir, La Vérité sur Marie, Nue).
Avec Commençons par faire l’amour, Laura Bachman recompose une série de tableaux autour de Marie, Madeleine, Marguerite de Montalte (de son nom complet), présentée comme une femme libre, insaisissable et complexe. Ce personnage, vecteur d’une exploration du féminin et de la relation amoureuse, s’incarne au plateau à travers plusieurs interprètes. Ce procédé veut restituer la dimension multiple et fragmentée du personnage.
Les corps multiples de Marie.

Ainsi, dans la première scène, Magali Caillet-Gajan, l’une des interprètes, entre à jardin et dépose à ses pieds une perruque blonde. Continuant son chemin sur une diagonale, prend différentes poses pour transcrire divers états affectifs, entre attente, abandon, enlacement, séduction, autoérotisme, cri muet enfin. À sa suite, dans une composition en canon ou comme en écho, Marion Barbeau, Laura Bachman et Julien Ferranti, portant les mêmes accessoires (robe bleue et perruque blonde), suivent le même parcours, reproduisent la même gestuelle. D’un personnage unique, Laura Bachman fait se démultiplier Marie à travers les interprètes.
Commençons par faire l’amour invite alors à assister à une chorégraphie de situations, composée d’une gestuelle qui propose de capter et restituer les états émotionnels du personnage féminin, pouvant coexister et se superposer dans la même scène au travers des différents interprètes pourtant différents par leurs corps, leurs sexes et leurs âges. Dans l’une des séquences, un couple (Laura Bachman et Julien Ferranti), tournant sur lui-même, s’habille et se déshabille des vêtements de l’un et de l’autre dans une boucle sans fin, pendant qu’à proximité, un second duo (Marion Barbeau et Solène Ezin) semble s’aimer et/ou se déchirer, là aussi sans résolution possible, comme deux façons de représenter la difficulté de la passion amoureuse et de la séparation.
Un théâtre des émotions.
La pièce se déplie ainsi en une petite dizaine de tableaux, et la plupart s’achèvent par un cut au noir. Indépendants, non linéaires, ils peuvent reprendre des éléments présents dans l’un ou l’autre, dont l’accessoire sans doute le plus symbolique reste la perruque blonde, vision d’une femme plus fantasmée que réelle, accessoire à nouveau abandonné aux pieds de Magali Caillet-Gajan en guise de fin pour se défaire de tout. Par deux fois, des extraits des textes de Jean-Philippe Toussaint sont récités par Laura Bachman, comme la fameuse scène du pur sang sur le tarmac de l’aéroport.
On assiste à un théâtre des émotions dans lequel la répétition du geste, passé au filtre d’une certaine abstraction, prend l’ascendant sur son développement, comme dans cette séquence des chaises dont l’action est dédoublée. Répétition du motif, décalage, la boucle se désorganise et semble tourner au chaos. Peut-être est-ce là l’effet recherché par la chorégraphe en faisant de ce désordre apparent la plus fidèle expression des tourments du cœur.
Commençons par faire l’amour de Laura Bachman, vu à La Villette le 21/12 et interprété ce soir-là par : Marion Barbeau, Magali Caillet-Gajan, Solène Ezin, Laura Bachman et Julien Ferranti.
Créé avec et interprété par Marion Barbeau, Magali Caillet-Gajan, Raphaëlle Rousseau, Habib Ben Tanfous, Julien Ferranti en alternance avec Solène Ezin et Laura Bachman.
Chorégraphie : Laura Bachman.
Création lumière : Éric Soyer en collaboration avec Jean-Pierre Michel et Malek Chorfi.
Compositeur : François Villevieille.
Dramaturgie : Éva Martinez.
Création costumes : Marine Peyraud en collaboration avec Bleuenn Brosolo.
