Borda de Lia Rodrigues

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Troisième volet d’un triptyque après Furia et Encantado.

Borda de Lia Rodrigues, dernière création de la chorégraphe brésilienne, est arrivée à Paris auréolée de son succès à la Biennale de la danse de Lyon quelques jours auparavant. La pièce est accueillie au 104 puis à Chaillot dans le cadre du festival d’Automne du 12 au 21 septembre.

Borda constitue, avec les deux pièces précédentes Furia et Encantado (qu’on a pu (re)voir cet été au festival Paris l’été), le troisième opus d’un triptyque. C’est également la somme des deux pièces précédentes de la chorégraphe. C’est une création qui s’articule assez simplement en deux grandes séquences : une première partie au rythme assez lent, qui se développe en silence dans une monochromie tout de blanc ; la seconde, haute en couleurs, constituée de petits tableaux chorégraphiques enchâssés les uns dans les autres.

Borda de Lia Rodrigues ou la naissance d’un monde.

BORDA de Lia Rodrigues
Borda, Lia Rodrigues © Sammi Landweer

Le rideau de scène s’ouvre, dans une quasi-pénombre, sur un paysage montagneux blanc traversant le plateau dans une grande diagonale. À la suite de longues minutes, à mesure que la pénombre s’estompe, ce paysage entre lui-même dans une lente mobilité, se transforme. Sous l’effet de plaques tectoniques invisibles, il prend de la hauteur. Les danseuses et danseurs qui s’y trouvaient enfoui·es se redressent peu à peu, les corps encore pris et engoncés dans des ballots de tissus, bâches ou lés de plastique. Puis replongent dans ce magma de matières avant de s’ériger une nouvelle fois, laissant apparaître les visages des neuf interprètes, tels des grotesques dont on ne perçoit que les yeux exorbités, les bouches ouvertes ou les sourires béats. Sons des tissus qui se froissent, bruit du plastique qui se déploie, chuchotements accompagnent cette venue au monde.

Puis ce paysage se précise dans les arrêts des interprètes dont les attitudes se figent, comme une grande sculpture vivante, ou quelque scène enneigée qui aurait été immortalisée par Brueghel l’Ancien. Certains se rapprochent ou s’éloignent. Une poupée de chiffon change de mains. Une longue bande de plastique se transforme en une rivière faisant le tour du plateau, emmenant son petit monde vers une destination qui nous est encore inconnue. Nous assistons à un grand voyage, une transhumance humaine sans frontières, avec ces ballots qu’on porte avec soi, avant de s’arrêter et d’établir un nouveau campement, plus loin.

Faire du neuf avec du vieux, une économie du recyclage.

On pense à May B. de Maguy Marin, une pièce dans laquelle Lia Rodrigues a dansé lors de sa création. Mais également à la dernière pièce d’Eszter Salamon, Monument 0.10, notamment pour la monochromie de son dernier tableau. Autre point commun entre ces deux pièces : dans Monument 0.10, les costumes et accessoires étaient constitués des éléments puisés dans les réserves de la compagnie Carte blanche collectionnés depuis 25 ans ; Lia Rodrigues a fait de même pour Borda en rassemblant ceux utilisés durant 35 ans par sa compagnie, dont ceux offerts par Maguy Marin en 2017 (entretien à lire dans la feuille de salle). Dans une économie de la débrouille et du peu, la chorégraphe sait, comme à son habitude, tirer le meilleur parti pour faire naître un monde sous nos yeux.

  • BORDA de Lia Rodrgues
    Borda de Lia Rodrgues © Sammi Landweer

Arrivés au centre du plateau, les interprètes se débarrassent de leurs fardeaux et découvrent leurs habits colorés au son d’une rythmique qui enfle peu à peu. La fête et le carnaval ne sont pas loin. Des êtres hybrident apparaissent : l’un se présente avec plusieurs pairs de jambes sous une large corolle ; d’autres portent des têtes à la hanche, puis plus tard des paires de fesses. Les corps, sens dessus dessous, s’hybrident les uns les autres. La statue du Christ rédempteur de Rio semble même se matérialiser, les bras transformés en étendoir à linge, en une image à la fois poétique et subversive. Les corps des danseur·euses, d’abord contraints et alourdis par leurs fardeaux, s’en libèrent, les transforment en ornements chatoyants, trouvant le chemin vers la dignité et la célébration de la vie. Se découvre alors toute la polysémie du titre dont est porteuse la pièce, car Borda comme le rappelle la chorégraphe, signifie tout autant frontière que broderie, décoration.

Dans Borda, on retrouve toute l’énergie et l’imaginaire de la chorégraphe et de ses interprètes traversé par la créolité propre au Brésil. Une performance qui nous mène d’un monde silencieux, pesant et monochrome vers une explosion de couleurs et de vie, symbolisant cette capacité de l’humain à se réinventer, même avec peu de moyens.

Borda de Lia Rodrigues du 12 au 17/09 au 104 et du 19 au 21/09 au Théâtre de Chaillot
Créé en collaboration avec et dansé par : Leonardo Nunes, Valentina Fittipaldi, Andrey da Silva, Larissa Lima, David Abreu, Raquel Alexandre, Daline Ribeiro, Sanguessuga, Cayo Almeida, Vitor de Abreu Oliveira.