Le hip-hop engagé de Bouba Landrille Tchouda.
Até Aqui Tudo Bem. « Jusqu’ici tout va bien », tel est le titre traduit du brésilien de la création de Bouba Landrille Tchouda, chorégraphe de la compagnie Malka, qui présentait au public une version finalisée de sa pièce à l’issue de 15 jours de résidence au Phare, Centre chorégraphique national Le Havre-Normandie.
Até Aqui Tudo Bem, un projet initié dans le cadre de la Saison France-Brésil.
Né au Cameroun et ayant grandi en France où il s’est initié au hip-hop dans les années 1980, Bouba Landrille Tchouda entretient une relation singulière avec le Brésil. En 1993, il part s’initier à la capoeira. Il séjourne trois ans dans le pays et va tisser des liens profonds avec des figures majeures de la danse brésilienne telles que Lia Rodrigues et Bruno Beltrão.
Depuis, il a monté plusieurs projets de danse auprès des jeunes des favelas et présenté ses propres créations. En 2023, il y danse son solo Je n’ai pas toujours dansé comme ça alors que l’organisation de la saison France-Brésil se précise. Il conçoit alors le projet Até Aqui Tudo Bem, avec des danseurs brésiliens auditionnés sur place, un projet qui reçoit le label Saison France-Brésil. Ce sont trois danseuses et quatre danseurs formés au hip-hop et interprètes pour Lia Rodrigues ou Bruno Beltrão, qui ont présenté la création aboutie, Até Aqui Tudo Bem, au public havrais le 26 juin dernier.
Un regard sur le Brésil contemporain.

Le spectacle s’ouvre sur une note douce, un danseur accueillant le public avec une chanson brésilienne jouée à la guitare, évoquant les mélodies chaleureuses de la samba ou de la bossa nova. Mais cette image idyllique se dissipe rapidement lorsque le noir se fait sur le plateau. Un danseur et une danseuse rejoignent le guitariste qui pose son instrument. Leurs regards se dirigent à jardin. L’un, le doigt pointé, désigne un lointain invisible, accompagnant son geste d’un regard lourd d’une inquiétude palpable. Le groupe au complet les rejoint pour une danse physiquement engagée, ne dédaignant pas livrer des moments d’unissons puissants.
Si le socle de la danse puise dans les figures et la technique du breakdance, d’autres influences transparaissent. La colère est exprimée par de vifs mouvements de bras et du haut du corps, rappelant la rage contenue du krump. Les impressionnantes et lourdes chutes au sol des interprètes évoquent la brutalité d’une société brésilienne où la violence reste une réalité crue.
Une séquence au milieu du spectacle frappe particulièrement l’imagination. Dans une lumière dorée qui vient frapper les tentures en fond de scène, un danseur traverse la scène en diagonale, portant une danseuse assise en amazone sur son épaule, au son de l’ouverture de King Arthur de Purcell. Cette image saisissante d’un parcours en majesté, qui pourrait sembler anachronique, est pourtant porteuse d’histoire. Elle peut renvoyer à l’histoire coloniale du Brésil, conquis par les Portugais au XVIe siècle, et au premier empereur du Brésil et ses liens avec les lignées royales européennes, française et autrichienne. Mais elle peut également évoquer la persistance d’un pouvoir politique blanc à la volonté hégémonique aussi royale qu’impériale, une allusion manifeste aux récentes périodes de l’histoire brésilienne.
La dernière partie de la pièce, plus lumineuse, voit les corps se rapprocher et la joie être à nouveau possible, déployant un univers moins empreint de gravité, renouant avec une forme de légèreté dans des compositions d’ensemble aux accents plus contemporains, non sans une pointe d’humour. L’image de fin, le fameux DIP (une chute, figure emblématique de la danse voguing), vient clore le spectacle sur une note qui signe là encore l’engagement du propos de Bouba Landrille Tchouda.
Écrite en étroite collaboration avec ses interprètes, Até Aqui Tudo Bem est une chorégraphie profondément ancrée dans les réalités du Brésil, un pays qui a récemment fait face à la brutalité et à la violence d’un gouvernement à l’encontre de ces minorités – indigènes, racisées, homosexuelles. Bouba Landrille Tchouda conçoit la danse comme un acte de résistance et de résilience, un moyen essentiel de se réapproprier son corps et son récit face à toutes les formes d’oppression. Até Aqui Tudo Bem, une expression typiquement brésilienne, ne dit pas la résignation, mais témoigne bien au contraire de la capacité de la danse à être un vecteur de commentaire politique et social et d’espoir.
Até Aqui Tudo Bem de Bouba Landrille Tchouda vu le 26 juin au Phare CCN Le Havre-Normandie.
Lire l’entretien réalisé avec Bouba Landrille Tchouda le 26 juin.
Direction artistique & chorégraphie : Bouba Landrille Tchouda.
Interprètes : Bruno Azevedo, Pedro Moreira Castella, Aline Corrêa Carvalho, Renann Eidt da Fontoura, Monique Stéphanie dos Santos Santana, Alexandro soares, Inaê Silva.
Assistante /répétitrice chorégraphique : Aïda Boudrigua, Jussandra Sobreira.
Regard complice sur la dramaturgie : Silvia Soter.
Lumière/régie générale : Fabrice Crouzet.
Costumes : Claude Murgia assistée de Lylia Bard.
Musique : Yvann Talbot.
Collaboratrice au développement : Astrid Toledo.
Até Aqui Tudo Bem sera dans un premier temps présenté au Brésil :
– le 4 septembre 2025 au Festival Cena Cumplicidades à Recife.
– le 2 octobre 2025 au MID Brasilia à Brasilia.
– les 7 et 8 octobre à Rio.
– les 5 et 6 décembre à Cayenne, dans le cadre du festival Danses Métisses au CDCN Touka Danse.
En France à partir de 2026. Dates à venir.
Le site de la compagnie Malka.
