Parterre de Volmir Cordeiro

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Parterre, dernière création du chorégraphe Volmir Cordeiro, est présenté à la Briqueterie CDCN du Val-de-Marne dans le double cadre du festival Excentriques et du festival d’Automne du 1 au 3 octobre. Artiste associé au lieu durant trois années, le chorégraphe est un peu comme chez lui pour y présenter cette pièce pour cinq interprètes.

Volmir Cordeiro est un danseur et chorégraphe brésilien qui, après avoir étudié le théâtre, est passé par le Centre National de Danse Contemporaine d’Angers sous la direction d’Emmanuelle Huynh. Il est l’auteur de plusieurs solos et pièces de groupe depuis une quinzaine d’années. Il est aussi chercheur et enseignant. Son intérêt pour les marges et les figures reléguées et supposées mineures se manifeste une nouvelle fois dans Parterre, sa nouvelle création.

Dès l’entrée en salle, on aperçoit en fond de scène, de jardin à cour, un portant sur lequel sont suspendus des vêtements. L’une des interprètes, Lucia García, vêtue d’une jupe en plastique de couleur bleue, le buste en partie dénudé, arpente le plateau sur sa limite extérieure de manière méthodique, le dos courbé, munie d’un bouquet de feuillage à la main. Elle en frotte le sol, le nettoie (?), ou bien s’en fouette le corps. Au sol, on peut voir un marquage fait de lignes claires sur un tapis gris, dessinant des motifs : courbes, diagonales, cercles et triangles constituent comme un grand tableau abstrait ou bien le tracé géométrique d’un jardin. Et tel est le sens premier du mot parterre dans son acceptation paysagère : il est un espace parfaitement ordonné destiné à être fleuri. Mais autant le dire tout de suite, les danses à venir ici auront pour vocation à subvertir ce bel ordonnancement.

Un parterre de solos.

Parterre de Volmir Cordeiro
Parterre de Volmir Cordeiro © Franck Alix

À la suite de Lucia Garcia, les quatre autres interprètes entrent sur le plateau pour effectuer également un solo. A tour de rôle, chacun.e prend possession de ce parterre au son de percussions entrainantes. Vêtu.es de ‘bric et de broc’, de diverses matières superposées, les costumes portés, créés avec Rubén Pioline Aronian, magnifient l’allure des corps. Ils ouvrent aux multiples interprétations et projections imaginaires sur ces curieux personnages aux allures grotesques et gestuelles inhabituelles.

Volmir Cordeiro, iroquoise bleue plantée sur la tête, muni d’une serpillère en détourne l’usage pour se déplacer et esquisser des pas de danse ; Marius Barthaux, collerette extravagante autour du cou, parcourt l’espace d’un jeu de jambes époustouflant par glissades ; Elie Autin, en habit plus austère, alterne des courses en grandes enjambées, le bras jeté en avant avec l’énergie du révolté ; quant à Cassandre Muñoz toute de blanc vêtue, elle investit, telle une précieuse, un solo tout en expressivité sur une partition baroque.

En débutant par cette série de solos, Parterre renverse nos habitudes de spectateurs. En règle générale, ces moments apparaissent au milieu d’une pièce ou répartis tout du long et rarement en son début. Ici, ils font quasiment fonction de prologue. Ils constituent une succession de figures amenées à construire et partager un espace commun, ce plateau — parterre, au-delà de leurs distinctions.

Inventer des danses carnavalesques.

A la suite de ces cinq solos, le passage à une danse partagée s’opère par un moment de transition saisissant. Réunis au bord du plateau face au public, les cinq interprètes se figent, les yeux grands écarquillés, dans des poses exagérément grotesques avant de s’enhardir et de se lancer dans des propositions de danses collectives, expérimentant alors des formes de cohésion, de construction festive commune.

Les danses collectives qui s’ensuivent se déploient alors sur un rythme effréné, sans temps mort, porté par la bande son impeccable de Loup Gangloff. Volmir Cordeiro, parce qu’il porte un regard particulièrement acéré sur la démesure et l’inversion des valeurs que cette forme festive peut produire, fait du carnaval le moteur de Parterre. Le mouvement devient une dépense pure, une énergie sans but productif, incarnant le cœur même de la subversion carnavalesque.

Subvertir les espaces, faire circuler l’énergie.

La gestuelle s’appuie alors sur des formes simples – grandes traversées à l’unisson, danses autour d’un cercle de lumière, ronde en se tenant par les mains ou les bras, etc – permettant le partage de l’énergie. La danse devient un langage accessible et une force de cohésion immédiate. Elle finit par excéder peu à peu les limites de ce parterre qu’est le plateau pour aller à la rencontre de cet autre parterre que constitue l’espace des spectateurs. Car Parterre est une pièce à double entrée qui joue de la polysémie de son titre qui désigne à la fois le parterre planté du jardin et le parterre des spectateurs au théâtre, assemblée à l’origine populaire, mouvante et indisciplinée.

L’ambiance immersive, soutenue par la musique et les variations subtiles d’éclairage, floute peu à peu les limites entre le plateau et le parterre de spectateurs, brouille les limites scéniques. Il ne s’agit plus seulement de danser devant, mais d’agir vers l’autre. Ainsi les interprètes finissent-ils par investir et contaminer de leurs danses, gestuelles et dépense d’énergie cet espace entre le plateau et les spectateurs, pour finir les bras ouverts comme une invitation simple, mais radicale, transformant le spectacle en un appel à faire ensemble. Avec Parterre de Volmir Cordeiro, on n’est pas loin de se lever pour rejoindre cette communauté joyeuse.

Parterre de Volmir Cordeiro vu à la Briqueterie CDCN le 30 septembre 2025 / jusqu’au 3 octobre avec le festival d’Automne.
Chorégraphie : Volmir Cordeiro.
Interprètes : Elie Autin, Marius Barthaux, Volmir Cordeiro, Lucia García Pulles, Cassandre Moun.
Scénographie : Hervé Cherblanc.
Création lumière : Eric Wurtz.
Création son : Loup Gangloff.
Costumes : Rubén Pioline Aronian et Volmir Cordeiro.
Couturière: Coco Blanvillain.

Lire l’entretien avec Mélanie Jouen pour le festival d’Automne.
Consulter le site Dona Volcan de Volmir Cordeiro.