Ophelia’s Got Talent de Florentina Holzinger

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Florentina Holzinger, chorégraphe et metteuse en scène autrichienne, a clôturé la saison de La Villette avec un spectacle très attendu : Ophelia’s Got Talent. Loin de la figure tragique du Hamlet de Shakespeare dans laquelle Ophélia se suicide par noyade, épisode représenté dans le célèbre tableau du peintre préraphaélite John Everett Millais en 1852, cette œuvre de 2022 plonge le spectateur dans une parodie grinçante de télé-réalité, où les performances physiques des interprètes féminines viennent dynamiter le mythe original.

Une esthétique de télé-réalité poussée à son paroxysme.

Le titre Ophelia’s Got Talent, fait référence à ces nombreuses émissions qui fleurissent sur les TV du monde entier dans lesquelles des candidat·es doivent montrer de quoi ils et elles sont capables devant un jury chargé de les départager.

Dès l’entrée dans la salle, le ton est donné. La scène à des allures de plateau digne des grands shows télévisuels, avec fauteuils de jury et buzzers, écrans vidéo de part et d’autre de la scène et éclairages tournoyants, rideau de scène floqué du logo de l’émission. L’image d’un hélicoptère larguant une Captain Hook féminine et dénudée sur les pavés de l’entrée de la grande Halle de La Villette est le signe avant-coureur d’une soirée dans laquelle le spectaculaire sera de mise.

Surgissant alors du haut des gradins sur une musique grandiloquente, bouteille de rhum à la main, notre capitaine Hook, invite le public, avec moult encouragements, à être le spectateur d’un grand show télévisuel où des Ophélia bien éloignées du personnage shakespearien original vont démontrer leurs talents les plus incroyables et surtout les plus assumés. En premier lieu cette nudité que les nombreuses interprètes de ce spectacle afficheront en permanence durant le spectacle.

Ophelia’s Got Talent, Florentina Holzinger © Marianna Wytyczak

Le corps spectacle.

Le décor étant planté, le spectacle va se dérouler comme un véritable « freak show » mâtiné de numéros de cirque. Les candidates, dans une nudité totale, se succèdent devant un jury féminin tout aussi dévêtu. On assiste tout d’abord à une performance de mat aérien, à une avaleuse de sabre et plus encore, à l’immersion d’une candidate enchaînée dans une cage de verre remplie d’eau – une fausse noyade évitée de peu, mais surjouée à l’extrême, qui marque la fin de ce prologue. Le décor s’ouvre alors sur une piscine et un grand bassin surélevé.

L’Eau au cœur de la relecture féministe du mythe.

L’eau, élément symbolique du mythe d’Ophélia, devient ici un axe central de réinterprétation. Le spectacle propose à l’envi des tableaux aux multiples références aquatiques, naviguant entre revue dansée, ballet aquatique cinématographique, comédie musicale avec claquettes pour les moments les plus sages, et des scènes plus trashs incluant piercing, tatouage, examen gynécologique, narration d’un viol, et même une implantation de sondes nasales évoquant in fine le bassin de Neptune à Versailles – le tout, filmé et retransmis avec force détails sur les deux écrans du plateau. Sans oublier l’apparition finale d’un hélicoptère grandeur nature descendant des cintres, chevauché sexuellement par des interprètes qui montent à son abordage.

Plutôt qu’un récit linéaire, Ophelia’s Got Talent se construit comme une série de séquences ou de tableaux connectés par des thèmes récurrents : la sororité, le traumatisme et sa transformation, la médiatisation du corps ou encore la violence subie ou auto-infligée. Il ne fait aucun doute que Florentina Holzinger bouscule la figure vulnérable et tragique d’Ophélie et de ses cousines (naïades, sirènes et autres Ondine) pour en faire des guerrières contemporaines qui ne s’en laissent pas compter.

Ophelia’s Got Talent, Florentina Holzinger © Marianna Wytyczak

Oui Ophelia’s got talent est une pièce qui ne laisse pas indifférent. On peut sourire quelques fois à certaines scènes ou se cacher les yeux de la main à certaines autres. Mais si Florentina Holzinger excelle dans l’art de la performance physique et de la mise en scène percutante (l’actionnisme viennois des années 60 n’est pas si loin), on est en droit de se demander si, au-delà du geste spectaculaire, elle ne reste pas quelque peu prisonnière de sa propre surenchère.

Enfin, comment interpréter le propos écologique final accompagné de cette pluie de bouteilles plastiques tombant du ciel ? Que penser de l’apparition de ces enfants habillés en moussaillon tendant des miroirs à leurs Ophélia / Narcisse avant de conclure par une danse seuls en scène ? Dans cette surenchère d’actions et de propos croisés (on entend aussi Schiller et Goethe ‘débattre’) qui peuvent s’avérer assez épuisants au bout de 2h20, le risque est de se perdre en chemin. Mais tant qu’on ne tombe pas à l’eau…

Ophelia’s Got Talent de Florentina Holzinger vu le 05/07 à la grande Halle de La Villette.

Conception et réalisation : Florentina Holzinger
Avec : Melody Alia, Saioa Alvarez Ruiz, Inga Busch, Renée Copraij, Sophie Duncan, Fibi Eyewalker, Paige A. Flash, Florentina Holzinger, Annina Machaz, Xana Novais, Netti Nüganen, Urška Preis, Zora Schemm (Théâtre RambaZamba) et Adele Brinkmeier, Stella Adriana Bergmann, Greta Grip, Golda Kaden, Fiene Lydia Kaever, Izzy Kleiner, Elin Nordin, Lea Schünemann, Rosa Shaw, Nike Strunk, Lenya Tewes, Thea Wagenknecht, Laila Yoalli Waschke, Zoë Willens.
Caméra en direct Melody Alia.

Lire ici les propos de la chorégraphe recueillis par Mélanie Drouère pour La Villette.