Grand jeté de Silvia Gribaudi

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Avec Grand jeté, la chorégraphe italienne Silvia Gribaudi s’amuse de cette figure de la danse classique avec le mordant et la dérision qu’on lui connait, accompagnée d’interprètes de premier ordre.

Grand jeté de Silvia Gribaudi était programmé pour trois soirées dans le cadre du festival Paris l’été, au cœur du jardin des Tuileries, en partenariat avec le Musée du Louvre et le Louvre l’été pour sa 2ᵉ édition.

Grand jeté de Silvia Gribaudi
Grand jeté de Silvia Gribaudi © Andrea Macchia

Silvia Gribaudi est une chorégraphe qui a bâti sa réputation sur une approche résolument non conventionnelle de la danse, teintée d’humour, d’autodérision, célébrant la diversité des corps. Dans Grand jeté, elle s’empare de cette figure obligée du ballet classique, synonyme de virtuosité, d’élégance aérienne et de perfection technique, pour mieux s’en amuser. Pour ce faire, elle s’entoure de la MM Contemporary Dance Company réputée pour l’excellence technique de ses danseurs. Reconnue pour son répertoire à la croisée de la danse contemporaine et néoclassique, la compagnie rassemble des interprètes d’un niveau élevé. Leur virtuosité n’est pas utilisée pour réaffirmer les clichés de la danse classique, mais au contraire pour les subvertir. Les danseurs de la MM Contemporary Dance Company sont capables d’exécuter avec brio des figures complexes, y compris le « grand jeté » lui-même, mais silvia Gribaudi les utilise dans une forme de contre-emploi pour explorer le corps tel qu’il est derrière la prouesse technique, allant jusqu’à les dénuder partiellement. Comme une manière de tomber les masques.

Les figures de la danse classique passées à la moulinette de l’humour.

Le Grand jeté n’est pas la seule figure à laquelle s’attache la chorégraphe. Sa déconstruction du vocabulaire du ballet s’attaque tout aussi bien aux figures du « plié », « pas de bourré », « rond de jambe », « tombé ». Mais le grand jeté, moment de bravoure de la scène finale dans un ballet, en est la figure iconique. C’est pourquoi elle donne le titre à la pièce.

Pour s’amuser de ces prouesses techniques, mais également des stéréotypes liés aux représentations des corps des danseurs et danseuses, Silvia Gribaudi se mêle à ses interprètes, jouant du décalage entre leur virtuosité technique et la sienne, entre son corps un peu rond d’un certain âge et leurs corps jeunes et élancés. Au milieu de ces interprètes, elle est à la fois la chorégraphe qui leur donne consignes et indications et la danseuse qui reproduit avec plus ou moins d’aisance les mouvements qu’ils/elles exécutent.

Grand jeté, une pièce participative.

À peine entrée sur le plateau, accompagnée des 10 interprètes de la compagnie, la chorégraphe sollicite déjà les applaudissements du public, comme pour indiquer que sa seule présence, décalée parmi ces interprètes émérites jeunes et beaux vêtus de résilles noires, vaut déjà acclamation. Dans Grand jeté, comme dans Grace, sa précédente pièce, Silvia Gribaudi aime jouer avec les spectateurs. Elle les invite tout d’abord à compter de 5 à 8 (les positions en danse classique). Plus tard, après une danse de groupe, façon défilé de fashion show plus que variation classique, il s’agira d’enrichir le lexique de termes rimant avec ceux de « fashion », « perfection », « obsession » un jeu auquel le public se prête avec bon plaisir. Derrière ce jeu lexical, une autre réalité se dessine. De même lorsque les danseurs et danseuses, au milieu des travées, invitent les spectateurs à « jeter » les bras en l’air tout en scandant « jeté ».

Dans Grand jeté de Silvia Gribaudi, la terminologie des figures de la danse de ballet devient triviale et trouve son équivalent dans les gestes simples : un jeté, c’est littéralement jeté quelque chose, comme jeter les bras en l’air. Un tombé, c’est comme tomber de son siège, etc. Grand jeté, c’est un peu la danse expliquée aux nuls, mais en plus drôle.

Difficile de ne pas répondre alors à la bonhommie de cette maîtresse de cérémonie qui, avec des interprètes qui assurent le spectacle avec des danses de groupe — dans l’air du temps — et solos plus techniques, s’amuse des conventions du ballet en faisant se télescoper, dans la bande son finale signée Matteo Franceschini, Tchaïkovski et sampling techno du meilleur effet. Avec Grand jeté, Silvia Gribaudi offre une expérience de danse ludique et rafraîchissante.

Grand jeté de Silvia Gribaudi vu le 23 juillet au festival Paris l’été.

Concept, chorégraphie & direction : Silvia Gribaudi.
Avec Silvia Gribaudi & et la MM Contemporary Dance Company : Filippo Begnozzi, Lorenzo Fiorito, Mario Genovese, Matilde Gherardi, Aurora Lattanzi, Fabiana Lonardo, Giorgia Raffetto, Alice Ruspaggiari, Nicola Stasi, Giuseppe Villarosa.

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